«Question de nature» avec Simone Schmid

Dans chaque numéro de «l’environnement», une personnalité s’exprime, à travers cette chronique, au sujet de la nature. Edition 3/2021.

Simone Schmid (42 ans) est scénariste, journaliste et géographe. Elle a notamment coécrit la série policière suisse Le Croque-mort et réalisé le scénario du film Zwingli. Elle travaille actuellement à une nouvelle comédie criminelle produite par la télévision suisse, prévue pour 2022. Elle vit avec sa famille au Tessin et à Zurich, et aime flâner dans les prairies et les forêts durant son temps libre.
© zVg

Mon fils de 2 ans adore cacher toutes sortes de choses dans la machine à laver. Dernièrement, il a choisi l’un de mes objets fétiches : un petit morceau de bois d’arolle, posé sur ma table de chevet, en souvenir de l’Engadine. Le résultat s’est avéré magique : le parfum du bois humide s’est intensifié comme jamais et je l’ai humé une bonne partie de la matinée. Chaque bouffée me donnait la chair de poule, des papillons dans le ventre et, l’espace d’un instant, j’éprouvais un bonheur pur. L’odeur de l’arolle provient de la pinosylvine, une substance aromatique qui ralentit le rythme cardiaque et nous aide à nous détendre et à dormir.

Je ne connais pas le nom des substances aromatiques de tous les parfums que j’aime. Celui de la pluie tombée sur les pierres chaudes pendant l’orage. Du foin qui sèche. Du lilas en fleurs la nuit. Du vent chargé de sel marin. Des champignons cachés sous les feuilles humides. De la neige qui s’annonce. Du pelage d’un chat. Du bois mouillé… La formule chimique de toutes ces odeurs m’est inconnue. Mais ce qui me fascine, c’est qu’elles ont toutes le même effet : elles déclenchent en moi une singulière combinaison d’extase et de paix profonde, un sentiment de gratitude, de joie et de sécurité.

Pourquoi les odeurs de la nature ont-elles un tel effet sur moi ? Parce que je fais partie de cette nature. Selon moi, c’est la seule réponse. Je suis un petit animal étrange qui, dans son quotidien bien tranquille, ne rêve que de s’adosser à un arbre, contempler un feu et sentir le souffle du vent sur son visage. Et pourtant, rien ne me fait plus peur que l’idée de devoir rester, par tous les temps, sous un arbre à observer un brasier. De devoir chasser pour me nourrir. De n’être qu’un animal. Je sais que je n’y survivrai sans doute pas.

J’ai développé une petite obsession, celle de penser aux tout premiers êtres humains, quelle que soit la situation. Quand l’orage éclate sur le Monte Generoso. Quand je rentre d’un tour à vélo, les orteils frigorifiés. Quand je suis trempée jusqu’aux os par la pluie, quand je prépare un gâteau au chocolat : je pense à eux, assis au fond de leurs cavernes à gratter des peaux et à se geler les fesses. Je me sens alors infiniment reconnaissante de posséder un lit douillet, une baignoire. Reconnaissante de toutes ces inventions, ces aventures et ces découvertes qui me permettent aujourd’hui de déguster un gâteau au chocolat.

J’ai soif de nature, mais je ne peux pas non plus y retourner complètement. Donc, je renifle des morceaux de bois lavés par mon fils. Et je me dis que l’homo sapiens est un animal drôlement paradoxal.

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Dernière modification 01.12.2021

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