Antibiorésistances: Débarrasser l’eau des germes résistants

25.11.2020 - L’utilisation excessive et parfois inappropriée des antibiotiques contribue à l’apparition de germes résistants, dangereux pour la santé. Aujourd’hui, les stations d’épuration sont déjà en mesure d’en éliminer une grande partie des eaux usées. Mais les fortes précipitations représentent un défi de taille.

Texte : Lucienne Rey

Les antibiotiques sont employés dans l’agriculture pour soigner le bétail.
© Markus Hibbeler | Ex-Press | BAFU

« Conan la bactérie » est le surnom que des revues de vulgarisation scientifique donnent parfois à Deinococcus radiodurans. À l’instar du héros du film Conan le Barbare, cette bactérie est pratiquement indestructible, et comme son nom le suggère, se multiplie même en étant exposée à une forte radioactivité. Elle est réputée détenir tous les records parmi les extrêmophiles, à savoir les bactéries qui prospèrent dans les environnements les plus hostiles, comme les sources d’eau acide et bouillante. Mais la bactérie Conan est aussi une habituée de milieux moins exotiques, tels que les bouses de vache ou la viande en putréfaction. Elle incarne la faculté d’adaptation des organismes unicellulaires, la forme de vie la plus ancienne sur Terre.

Les bactéries doivent leur adaptabilité et leur variété à leur temps de génération très bref. Dans des conditions favorables, leur nombre double en l’espace d’une demi-heure. Leur patrimoine génétique peut se modifier tout aussi rapidement. Les germes mutés s’imposent alors car ils ont acquis un avantage pour leur survie.

Le rôle des bactéries

Il n’y aurait pas de vie sur Terre sans les bactéries. Chez les humains, elles forment un film protecteur sur la peau et aident à digérer les aliments. Mais il existe également des germes pathogènes, auxquels nous avons longtemps été exposés sans défense. La peste a dépeuplé des contrées entières en Europe jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, tandis que le typhus, le choléra et la syphilis ont sévi jusqu’au XXe siècle.

C’est la nature qui a livré à l’humanité un puissant moyen de lutte contre les maladies bactériennes : la moisissure Penicillium notatum, officiellement découverte en 1928 par le bactériologiste Alexander Flemming, a inauguré l’histoire des antibiotiques. Un extrait de cette moisissure a ainsi permis de guérir de nombreuses maladies redoutées jusque-là. « Les antibiotiques sont un cadeau pour l’humanité », relève Saskia Zimmermann-Steffens, de la section Protection des eaux à l’OFEV. Ils ne tuent généralement pas les agents pathogènes, mais inhibent leur multiplication ou d’autres processus cellulaires, sans porter préjudice à la personne ou à l’animal traité. Ainsi, ils assurent au patient une longueur d’avance afin que son système immunitaire puisse combattre lui-même l’infection.

Une arme fragile

Les microbes n’auraient guère pu s’imposer au cours de l’évolution s’ils n’avaient mis au point des mécanismes de défense efficaces contre leurs ennemis, qu’il s’agisse d’autres organismes unicellulaires, de champignons, de virus ou de bactéries. Les champignons et certaines bactéries fabriquent eux-mêmes des antibiotiques pour se protéger contre d’autres bactéries hostiles. Autrement dit, des bactéries antibiorésistantes peuvent se former sans aucune intervention humaine. Elles ne sont devenues problématiques qu’en raison de l’emploi trop généreux et relativement peu ciblé des antibiotiques, commercialisés à large échelle à partir de 1940. Médecins et vétérinaires recouraient à ce remède miracle pour soigner une multitude de maladies. L’agriculture se mit, elle aussi, à utiliser les antibiotiques, non seulement pour traiter les bêtes malades, mais aussi pour favoriser la croissance et les performances du bétail.

Résultat : un nombre croissant de germes résistants aux antibiotiques sont apparus. Il peut arriver que des bactéries se transmettent des résistances lorsqu’elles sont en contact entre elles. Les experts parlent alors de transfert horizontal : du matériel génétique passe directement d’un organisme à l’autre.Ce transfert s’opère généralement par le biais des pili, des appendices rigides de forme tubulaire, qui permettent à la bactérie de s’arrimer à une autre cellule. La bactérie intestinale Escherichia coli, par exemple, doit 17 % de son patrimoine génétique à des transferts horizontaux provenant d’autres microbes. Les cystites sont souvent causées par ce germe, qui prolifère volontiers dans les installations sanitaires contaminées ou sur les poignées de porte. 

D’autre part, les résistances peuvent aussi se former spontanément. Pendant le processus de multiplication des bactéries, plus précisément le dédoublement de leur matériel génétique, de petites modifications (mutations) ne sont pas rares. Il se forme ainsi des variantes de microorganismes, insensibles à telle ou telle substance et donc susceptibles de résister aux antibiotiques. Depuis 2004, le nombre d’infections dues à des souches résistantes connaît une forte augmentation.

Aujourd’hui, de nombreux antibiotiques ont perdu de leur efficacité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que, rien qu’en Europe, 25 000 personnes meurent chaque année des suites d’infections dues à des bactéries antibiorésistantes.

Plusieurs sources différentes

Les bactéries antibiorésistantes peuvent aboutir dans l’environnement par différentes voies. Les eaux usées sont l’une d’entre elles. « Les personnes traitées aux antibiotiques peuvent, dans certaines circonstances, développer des bactéries résistantes dans leur intestin, qui seront éliminées sur une période assez longue et finiront dans les stations d’épuration des eaux usées (STEP) », explique Saskia Zimmermann-Steffens.

Le problème se complique d’autant plus là où les hôpitaux déversent leurs eaux usées directement dans les canalisations, car ces eaux contiennent également des résidus d’antibiotiques dits critiques. Ceux-ci ne sont prescrits qu’en dernier recours lorsque toutes les autres substances ont échoué. « Pour éviter que des résistances à ces médicaments ne se développent également, ils doivent être utilisés de manière extrêmement ciblée », précise l’experte de l’OFEV.

L’agriculture représente une autre source de bactéries résistantes. Il est vrai qu’elle réduit progressivement son utilisation d’antibiotiques, notamment grâce à la Stratégie Antibiorésistance Suisse (StAR), lancée par la Confédération en 2015. En 2017, elle en employait quelque 32 tonnes, soit 16 % de moins que l’année précédente. Un peu plus de la moitié de ces antibiotiques ont été administrés à titre préventif, mélangés au fourrage. Les excréments des animaux sont épandus sur les sols sous forme d’engrais de ferme. Comme les animaux sont traités avec des médicaments bactéricides, leurs déjections contiennent des germes résistants. Or le transfert horizontal de gènes dans le sol a déjà souvent été démontré.

Surcharge des STEP

Les stations d’épuration se révèlent être une barrière efficace contre les bactéries résistantes. « Jusqu’à 99 % de ces microorganismes présents dans les eaux usées sont éliminés par la STEP », confirme Saskia Zimmermann-Steffens. Le traitement biologique est particulièrement utile à cet égard. Lors de cette étape de l’épuration, les germes résistants doivent lutter avec les autres bactéries pour se nourrir ; le milieu est conçu pour désavantager les organismes pathogènes.

Une étape de traitement supplémentaire

Depuis 2016, toutes les stations d’épuration versent une contribution de 9 francs par personne raccordée dans un fonds destiné au développement des STEP. Ce programme, qui s’achèvera en 2040, prévoit que 70 % des eaux usées en Suisse seront soumises à une étape de traitementsupplémentaire, par exemple à l’ozone ou au charbon actif en poudre. Les substances problématiques telles que les résidus de médicaments ou les perturbateurs endocriniens, mais également les antibiotiques, seront ainsi éliminés efficacement.

Toutefois, comme les eaux usées et les eaux de pluie ne sont souvent pas séparées, mais évacuées dans un même canal dans le système, il peut en résulter une surcharge des STEP en cas de fortes précipitations. Une partie des eaux usées est alors déversée dans les rivières sans avoir été épurée. L’experte de l’OFEV estime qu’un « système de canalisations intelligent » constitue la solution la plus appropriée pour pallier cet inconvénient. Là où c’est possible, les eaux de pluie devraient être retenues et non pas acheminées vers les canalisations, ce qui permettrait d’éviter les surcharges du système d’évacuation des eaux usées en cas de précipitations extrêmes. Ces retenues sont particulièrement nécessaires au niveau des hôpitaux, car leurs eaux usées sont en général davantage contaminées par les antibiotiques.

Des solutions sont en cours de recherche. Certains hôpitaux examinent par exemple la possibilité de stocker leurs eaux usées en cas de pluies abondantes et de ne les évacuer que plus tard vers la STEP.

Limiter les rejets

La présence de bactéries résistantes dans les eaux a été analysée dans le cadre de différentes études. Il en ressort que, sur ce plan, nos rivières, nos lacs et notre eau potable sont largement propres. Les eaux traitées des lacs et des sources karstiques contiennent, il est vrai, de faibles quantités de bactéries résistantes ainsi que des copies de gènes de résistance communs, mais il s’agit là de bactéries environnementales, sans potentiel pathogène.

Néanmoins, si les STEP réduisent fortement les résistances, elles n’empêchent pas leur transmission. « Partout où des bactéries se côtoient en grand nombre, les échanges deviennent plus faciles », souligne Saskia Zimmermann-Steffens. D’où l’importance de limiter autant que possible, à titre préventif, les rejets d’antibiorésistances dans l’environnement. Idéalement, aucune résistance ne devrait provenir des stations d’épuration. Des essais ont montré qu’un traitement des eaux usées à l’ozone permet une légère réduction supplémentaire du nombre de germes résistants. L’optimisation de ce procédé fait actuellement l’objet d’études. La mesure la plus urgente consiste cependant à empêcher que les STEP ne débordent par temps pluvieux. Une étape de traitement additionnel contribuera en outre à éliminer les micropolluants tels que les antibiotiques (voir encadré ci-dessus).

Lutter à la source

Le plus important consiste toutefois à attaquer le problème à la racine : il faut utiliser les antibiotiques à bon escient et avec circonspection. Ils doivent entre autres être pris pendant une durée suffisamment longue en cas d’infection bactérienne grave, ne pas être prescrits pour des maladies virales et ne pas être donnés à des tiers.

Dans l’agriculture, la santé des animaux peut par exemple être renforcée par une gestion judicieuse de la stabulation. La médecine humaine, quant à elle, doit s’astreindre à administrer les antibiotiques de manière très ciblée et à sensibiliser le corps médical à ce sujet.

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Dernière modification 25.11.2020

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