Effets de la sécheresse: Mieux comprendre la relation entre climat et sous-sol

23.11.2016 - Aurons-nous toujours assez d’eau à l’avenir ? Les sécheresses prolongées, comme celle de l’été 2015, mettront elles les cours d’eau suisses à sec ? Les connaissances actuelles montrent que les débits varient selon le bassin versant. Les interactions entre eaux souterraines et eaux de surface jouent par ailleurs un rôle décisif. Déjà bien avancée, une étude réalisée à la demande de l’OFEV élabore des modèles pour identifier les régions particulièrement sensibles aux sécheresses.

Texte: Vera Bueller 

Gewässermarkierung
Un colorant fluorescent est utilisé comme traceur dans ce ruisseau afin d’étudier les voies d’écoulement et le comportement des eaux souterraines et des eaux de surface.
© CHYN, Universität Neuenburg

Interrogé sur ce projet, Jan Seibert, professeur à l’Université de Zurich, admet en souriant : « L’OFEV a quasiment contraint hydrologues et hydrogéo- logues à collaborer. » Ce « mariage de raison » a été contracté pour les besoins d’un projet financé par l’office, qui devait explorer les impacts du changement climatique sur les eaux souterraines et les situations d’étiage en Suisse. Ce projet a réuni des spécialistes des universités de Neuchâtel, de Zurich et de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne). Selon Jan Seibert, il a donné lieu à une confrontation captivante entre hydrologues et hydrogéologues, et a produit des résultats d’autant plus fondés. « Chacun pense que son domaine est plus important, l’orientation des recherches varie donc selon le point de vue scientifique. » Nombre de recherches hydrologiques ont par exemple étudié les conséquences de la sécheresse sur les eaux de surface. Mais peu d’entre elles prennent également en compte les eaux souterraines et les propriétés physiques des bassins versants.  

Des comportements contrastés

« Nous étions surpris de constater que certains ruisseaux et rivières tarissaient soudain durant les étés caniculaires de ces dernières années, alors que d’autres conservaient un débit suffisant », se souvient Petra Schmocker-Fackel, cheffe d’état-major à la division Hydrologie de l’OFEV. La responsable de l’étude conclut aussitôt : « La raison devait se trouver dans le sous-sol. » Pour mener les recherches, il fallait donc réunir des disciplines qui travaillaient jusqu’alors plutôt chacune de leur côté. Du point de vue de l’environnement, la démarche est logique, puisque d’intenses interactions ont lieu entre eaux souterraines et eaux de surface. En période d’étiage, les rivières sont essentiellement alimentées par les eaux souterraines. Lorsque le niveau de ces dernières est bas, l’eau peut toutefois circuler dans le sens inverse, et assécher des cours d’eau, en particulier durant l’été, explique Jan Seibert. La situation se complique encore lorsque des captages d’eau potable se trouvent à proximité des rivières.  

Deux exemples bernois

L’interaction entre eaux souterraines et eaux de surface varie toutefois selon le bassin versant. C’est là qu’intervient la nouvelle étude : les spécialistes de l’Université de Neuchâtel ont sélectionné plus de 50 bassins versants dans tout le pays, en privilégiant ceux comprenant des aquifères en roches meubles le long des cours d’eau. Ils ont ensuite procédé à l’analyse détaillée de deux cours d’eau du canton de Berne : la Langete, un affluent de l’Aar, et le Röthenbach, qui se jette dans l’Emme près d’Eggiwil (BE). Bien que les précipitations soient analogues dans les deux zones étudiées, le niveau des eaux souterraines ne suit pas la même courbe, car la capacité de stockage diffère. « Alors que le niveau fluctue peu le long de la Langete depuis 1987, il affiche des variations extrêmes dans le bassin versant du Röthenbach, marqué par une véritable sécheresse en novembre », explique Claire Carlier, membre de l’équipe de recherche à l’Université de Neuchâtel. Voilà pourquoi les scientifiques ont étudié les caractéristiques physiques du sous-sol et du sol. ainsi que la topographie et la dynamique des eaux superficielles des deux régions. Ils ont également inclus des relevés et des statistiques, et simulé l’écoulement dans leur modèle numérique.

Langete
L’influence des eaux souterraines sur le débit des cours d’eau n’a pas encore été
suffisamment étudiée. Dans le canton de Berne, la Langete et le
Röthenbach réagissent de manière différente à la sécheresse.
© CHYN, Universität Neuenburg

 Modélisation applicable à toute la Suisse

« Nous avons procédé à une analyse systématique de toutes les caractéristiques qui influent sur les débits en période d’étiage », explique le professeur Philip Brunner de l’Université de Neuchâtel. « Nous avons ainsi pu établir un inventaire des indicateurs étudiés. » Les méthodes de calcul et les modèles numériques pourront ensuite être étendus au reste de la Suisse. Déjà très avancée, l’étude doit encore franchir une étape importante : évaluer la pertinence des modèles, c’est-à-dire passer du laboratoire informatique au monde réel. Ce sera chose faite au printemps 2017. Petra Schmocker-Fackel est certaine « que nous disposerons à l’avenir d’un catalogue complet de critères permettant d’identifier les régions sensibles aux sécheresses dans toute la Suisse ». Il reste cependant à compléter la cartographie des sols, afin de pouvoir appliquer les modèles sur l’ensemble du territoire. Selon la région, le changement climatique est inévitablement susceptible d’aggraver d’éventuelles pénuries d’eau. « Les eaux souterraines jouent un rôle essentiel, notamment parce qu’elles servent de réservoir naturel en cas de sécheresse », souligne Michael Sinreich, chef suppléant de la section Bases hydrogéologiques à l’OFEV. L’étude en cours s’avère d’autant plus cruciale que l’on a jusqu’ici plutôt sous-estimé les interactions entre eaux souterraines et eaux de surface.

Modélisation applicable à toute la Suisse

« Nous avons procédé à une analyse systématique de toutes les caractéristiques qui influent sur les débits en période d’étiage », explique le professeur Philip Brunner de l’Université de Neuchâtel. « Nous avons ainsi pu établir un inventaire des indicateurs étudiés. » Les méthodes de calcul et les modèles numériques pourront ensuite être étendus au reste de la Suisse. Déjà très avancée, l’étude doit encore franchir une étape importante : évaluer la pertinence des modèles, c’est-à-dire passer du laboratoire informatique au monde réel. Ce sera chose faite au printemps 2017. Petra Schmocker-Fackel est certaine « que nous disposerons à l’avenir d’un catalogue complet de critères permettant d’identi- fier les régions sensibles aux sécheresses dans toute la Suisse ». Il reste cependant à compléter la cartographie des sols, afin de pouvoir appliquer les modèles sur l’ensemble du territoire. Selon la région, le changement climatique est inévitablement susceptible d’aggraver d’éventuelles pénuries d’eau. « Les eaux souterraines jouent un rôle essentiel, notamment parce qu’elles servent de réservoir naturel en cas de sécheresse », souligne Michael Sinreich, chef suppléant de la section Bases hydrogéologiques à l’OFEV. L’étude en cours s’avère d’autant plus cruciale que l’on a jusqu’ici plutôt sous-estimé les interactions entre eaux souterraines et eaux de surface.  

Mieux gérer l’or bleu

Cette étude complète divers travaux menés jusqu’ici, tel le Programme national de recherche « Gestion durable de l’eau » (PNR 61). Mettant l’accent sur le changement climatique, ce dernier s’est penché sur les bases hydrologiques et sur les méthodes de gestion des eaux. Selon ses conclusions, il importe d’optimiser cette gestion en Suisse pour qu’elle soit à même de faire face à l’évolution du climat et de la société. Ce qui manque avant tout, ce sont autant des visions et des stratégies globales qu’une harmonisation concrète et indispensable entre communes et cantons. L’étude consacrée aux impacts du changement climatique sur les eaux souterraines et les situations d’étiage en Suisse s’inscrit dans une série d’actions décidées par le Conseil fédéral sur la base du PNR 61 et d’un postulat du conseiller national UDC Hansjörg Walter. Les mesures comportent des ébauches de solutions et des bases scientifiques relatives à la gestion des ressources en eau, destinées aussi bien à la résolution à court terme qu’à la prévention à long terme des pénuries d’eau.  

Prévenir d’éventuelles pénuries

Malgré les mesures déjà mises en place pour améliorer la gestion des ressources en eau, les planifications suffisamment prévoyantes et probantes font encore souvent défaut. Des lacunes subsistent également au niveau des données et des hypothèses nécessaires, afin de prévoir à long terme et de corriger les déséquilibres potentiels entre quantités disponibles et besoins en eau, même en cas de situations exceptionnelles. La nouvelle étude devrait fournir les bases requises, et permettre aux cantons et aux communes d’agir à temps au niveau local en développant des connexions entre les réseaux de distribution ou en restreignant la consommation d’eau dans l’agriculture, l’industrie et les ménages. « Faute de quoi, une surexploitation transitoire, voire prolongée, risquerait de trop abaisser le niveau des eaux souterraines », affirme Michael Sinreich. « Un tel abaissement porterait atteinte aux écosystèmes qui dépendent des eaux du sous-sol, tels les marais et les zones humides, et pourrait même réduire le débit résiduel de certaines sources et des cours d’eau qu’elles alimentent. »       

Le changement climatique se fait sentir

Les résultats d’un projet précédent, « Changement climatique et hydrologie en Suisse » (CCHydro), démontrent certes que la Suisse n’est pas près de manquer d’eau. Son sous-sol en contient en effet quelque 150 kilomètres cubes. Plus de 10 % de ces eaux souterraines se renouvellent chaque année et se prêtent donc à une gestion durable. Or, les besoins actuels (eau potable et eau d’usage industriel confondues) ne représentent que 1,3 kilomètre cube d’eau souterraine. La marge est donc plus que confortable. Malgré ces réserves pléthoriques, les conditions saisonnières peuvent néanmoins causer des pénuries récurrentes dans certaines régions. Ces pénuries sont notamment dues au décalage que les périodes humides ont enregistré par rapport aux années 1960 à 1990. Comme le constate Jan Seibert, « la fonte des neiges est plus précoce et moins intense. Il pleut ensuite davantage à la fin du printemps et en automne, alors que l’été reste sec plus longtemps. » Plus les prévisions portent loin, plus ces modifications s’accentuent et posent problème. L’OFEV tient dès lors à exploiter les résultats des études réalisées afin de mettre à disposition des responsables les outils qui leur permettront de s’adapter au changement climatique.

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