Conservation – Portraits d’espèces prioritaires

L’état de la biodiversité et des habitats joue un rôle majeur dans la protection des espèces animales, végétales et fongiques. En Suisse, la liste des espèces prioritaires au niveau national permet de mieux coordonner les efforts pour conserver les espèces.

Texte : Nicolas Gattlen

L’hygrophore écarlate est une espèce particulièrement remarquable à cause de sa couleur vive. Il est aujourd’hui devenu rare et fait partie des espèces protégées.
© FLPA / Alamy

Les hygrophores, des champignons vert fluo, rouges ou encore orange, comptent parmi les espèces fongiques les plus spectaculaires de Suisse. Encore vendus sur les marchés des grandes villes de Suisse jusqu’au milieu du siècle dernier, ces champignons de prairie sont aujourd’hui très rares et strictement protégés. Pour l’hygrophore en capuchon, par exemple, un excès de nutriments ou l’épandage de fumier peuvent être fatals. L’espèce a d’ailleurs déjà disparu du Plateau suisse. Les rares populations qui subsistent se trouvent dans les prairies et les pâturages maigres des Préalpes du Nord et du Jura, mais là aussi l’intensification de l’agriculture menace le champignon. Pour assurer sa conservation, la Confédération a désigné dès 2011 l’hygrophore en capuchon à la liste des espèces prioritaires au niveau national (EPN).

Définir des priorités

« La liste des espèces prioritaires au niveau national constitue un instrument essentiel pour la conservation des espèces, explique Danielle Hofmann, collaboratrice scientifique à l’OFEV. La Suisse compte plus de 56 000 espèces d’animaux, de plantes et de champignons, si bien qu’il est indispensable de prioriser et de coordonner les activités si l’on veut préserver la diversité. » La détermination des priorités se fonde à la fois sur le degré de menace au niveau national et sur la responsabilité internationale qu’assume la Suisse dans la conservation de l’espèce. L’hygrophore en capuchon fait ici figure d’exemple puisque ses populations diminuent en Suisse, mais aussi dans toute l’Europe. Comme la Suisse possède d’importants refuges, elle endosse un rôle de premier ordre dans sa conservation.

Le milan royal est davantage présent en Suisse parce qu’il est protégé et que, par conséquent, on ne le tue pas. Certains pays d’Europe ont élaboré des plans d’action pour cette espèce, comme en France, ou des programmes de réintroduction, par exemple en Italie. Nous avons la plus belle population de ce bel oiseau en Suisse.

L’OFEV, en collaboration avec le Centre suisse d’informations sur les espèces InfoSpecies, a publié une première liste EPN en 2011. Depuis, la liste a été actualisée à deux reprises. Depuis la dernière actualisation, les centres nationaux de données et d’informations réunis sous l’association faîtière InfoSpecies ont établi de nouvelles listes rouges pour les cigales, les carabes et les abeilles (publication prévue en 2024) et révisé d’anciennes listes rouges, notamment celles des reptiles, des amphibiens et des bryophytes. La liste a par ailleurs intégré de nouvelles données concernant la répartition internationale des espèces. « La liste EPN dans sa version actuelle fournit aux cantons des informations ciblées pour planifier des mesures », explique Danielle Hofmann.

L’importance de l’aménagement durable des sites

Environ 3000 espèces sont aujourd’hui recensées sur la liste EPN qui précise aussi le niveau d’action et le degré d’urgence à appliquer dans la mise en œuvre des mesures. En développant des pratiques respectueuses de la biodiversité tant sur les surfaces forestières et agricoles que dans l’espace urbain et aux abords des cours d’eau, 15 % des espèces prioritaires peuvent être préservées.

Le cas du putois illustre parfaitement ce niveau d’action. En effet, le petit prédateur apprécie des biotopes semi-ouverts et bien structurés composés de haies, de ruisseaux naturels et de terrains marécageux où il trouve un abri et des grenouilles, crapauds et autres petits animaux pour se nourrir. Or, les paysages structurés réunissant ces caractéristiques sont devenus rares en Suisse. Pour survivre à long terme, le putois a donc besoin de surfaces riches en biodiversité, comme des haies et des berges boisées. Il bénéficie également de la revalorisation des lisières et du renoncement aux produits phyto­sanitaires. En effet, le putois se nourrit principalement d’amphibiens, lesquels absorbent en grande quantité ces substances nocives pour leur santé.

Le muscardin, a, pour sa part, des exigences écologiques nettement supérieures. Ce rongeur fréquente aussi des milieux semi-ouverts et structurés, comme les haies et les bosquets, il faut toutefois qu’ils soient riches en espèces et qu’ils offrent une grande variété de noix, de baies et d’insectes. Le muscardin a aussi besoin de bosquets suffisamment interconnectés pour nicher, s’alimenter et se reposer sans avoir à s’exposer. La survie du muscardin – à l’image de 55 % des espèces prioritaires au niveau national – dépend directement d’une utilisation durable du sol, d’habitats de bonne qualité qui compose l’infrastructure écologique comme des réserves forestières, des forêts clairsemées ou des lisières semi-naturelles riches en espèces.

Enfin, près de 30 % des espèces prioritaires ont besoin de mesures de conservation spécifiques. L’hygrophore en capuchon en fait notamment partie. Pour assurer sa survie, la Suisse doit sécuriser immédiatement les populations subsistantes et aménager de nouveaux sites appropriés, notamment dans des parcs. Dans le canton de Berne, un plan d’action en faveur de l’hygrophore est en cours d’élaboration. En plus de l’examen des sites connus et potentiels, de nouvelles mesures pour la protection des sites est prévue, comme empêcher l’engraissement des prairies réunissant des conditions favorables au développement des hygrophores.

Six espèces prioritaires

Succès des mesures de conservation des amphibiens

Des mesures de conservation ciblées sur certaines espèces permettent d’inverser la tendance. De nombreux exemples en témoignent, notamment parmi les amphibiens, dont la plupart des espèces sont inscrites sur la liste EPN et dont la survie dépend de mesures spécifiques. Ces vingt-cinq dernières années, le canton d’Argovie a aménagé plus de 600 sites de reproduction pour encourager le dévelop­pement des amphibiens menacés. Ce tour de force est le fruit d’une démarche coordonnée avec les communes, les organisations de protection de la nature, les agriculteurs et les propriétaires forestiers. De petits bassins ont été spécialement installés dans le sol pour les sonneurs à ventre jaune, une espèce de crapaud. Chaque année, ils sont vidés à l’automne et remis en eau au printemps, simulant ainsi la dynamique des zones alluviales, qui occupaient autrefois largement les vallées fluviales d’Argovie et offraient aux sonneurs à ventre jaune des conditions de vie idéales. Pour se reproduire, le sonneur à ventre jaune recherche des mares, où l’eau se réchauffe rapidement. Mesurant généralement moins d’un mètre carré, celles-ci s’assèchent régulièrement, de sorte que les poissons qui mangent les œufs y sont peu présents. De petits plans d’eau temporaires et des étangs artificiels ont été créés. Ces mesures de conservation bénéficient non seulement au sonneur à ventre jaune, mais aussi à d’autres espèces d’amphibiens prioritaires au niveau national telles que le crapaud accoucheur.

Le monitoring cantonal du canton d’Argovie sur les amphibiens témoigne de l’efficacité des mesures déployées. Sauf pour le crapaud calamite, à qui il manque encore de vastes plans d’eau temporaires dans des milieux ouverts, la plupart des espèces d’amphibiens menacées peuplent aujourd’hui plus de plans d’eau que dans les années 2000. Depuis 1999, la population du sonneur à ventre jaune a augmenté de plus d’un quart et celle de la rainette verte a même triplé. « Les amphibiens profitent des nouveaux habitats de substitution », conclut Nicolas Bircher, responsable du groupe de travail en charge de la nature au sein du service Paysage et eaux du canton d’Argovie. Il y a une vraie corrélation entre le nombre de sites de reproduction artificiels dans une région et l’augmentation des populations d’amphibiens. »

Aide d’urgence requise pour le pic mar

Le pic mar est aussi un bel exemple de réussite. L’oiseau fait partie de la même famille que le pic épeiche, il traque ses proies à la surface des arbres et les trouve, surtout en hiver, dans les essences qui présentent une écorce rugueuse et crevassée, comme les vieux chênes. Le petit pic creuse aussi sa cavité de nidification dans le bois pourri des vieux chênes ou dans des arbres morts sur pied. Or, dans la seconde moitié du XXe siècle, ces chênes géants ont été abattus en masse dans les forêts suisses. Dans le canton de Zurich, le pic mar a ainsi perdu près de la moitié de ses habitats. En 2005, on ne relevait plus qu’environ 500 couples nicheurs sur l’ensemble du territoire. Pour enrayer le déclin de cette espèce, l’OFEV a lancé le « Plan d’action Pic mar Suisse » en 2008. Les cantons ont mis sous protection d’importants peuplements de chênes, en créant notamment des réserves forestières spéciales, et de nombreux propriétaires forestiers laissent depuis sur pied les grands chênes ainsi que d’autres essences de bois tendres utilisées comme arbres de ponte. De plus, des peuplements d’arbres denses ont été élagués pour offrir plus de lumière aux couronnes des chênes et, ce faisant, attirer les insectes, dont se nourrissent les pics.

Grâce à ces mesures spécifiques, les effectifs du pic mar ont pratiquement triplé. Aujourd’hui, en Suisse, il n’est plus considéré comme menacé. S’il est toutefois maintenu sur la liste des espèces prioritaires, c’est parce qu’il dépend de telles mesures. « Pour assurer la survie de l’espèce, il importe d’augmenter encore la part des chênes et de bois mort dans les forêts suisses, explique Danielle Hofmann, autant de mesures qui seraient favorables au pic mar mais également à de nombreuses autres espèces, parmi lesquelles des coléoptères, des bryophytes, des lichens et des champignons rares. »

Recherche connaisseurs ou connaisseuses d'espèces

La promotion de la biodiversité requiert une connaissance fine de la répartition des espèces. Or, il y a encore trop peu, voire pas d’experts et d’expertes pour de nombreux groupes d’organismes, notamment des mollusques, lichens et coléoptères. InfoSpecies coordonne l’offre nationale de formation et de perfectionnement sur la connaissance des espèces. Le site internet de l’association propose aux personnes intéressées un large éventail de cours de différents niveaux leur permettant d’acquérir et d’approfondir des connaissances sur les espèces et milieux menacés – des mammifères et reptiles aux bryophytes et champignons en passant par les poissons et arachnides.

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Dernière modification 12.06.2024

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