L’hydrométrie a 150 ans: Un réseau indispensable

12.02.2013 - La protection contre les crues, l’exploitation des ressources en eau et la régulation des lacs disposent depuis longtemps de données fiables sur les débits. Cette année, l’hydrométrie suisse fête son 150e anniversaire.

Mesure du débit en 1944: une équipe composée d’un ingénieur, d’un secrétaire, d’un auxiliaire et de pontonniers traversait l’Aar sur deux barques plates. Le moulinet hydrométrique attaché à une perche était placé dans l’eau.
Mesure du débit en 1944: une équipe composée d’un ingénieur, d’un secrétaire, d’un auxiliaire et de pontonniers traversait l’Aar sur deux barques plates. Le moulinet hydrométrique attaché à une perche était placé dans l’eau.
© archives de l’OFEV; Beat Sigrist/OFEV

Lorsque la Reuss enfle à Seedorf (UR) et que son débit dépasse 350 mètres cubes par seconde à la station de mesure, une alarme retentit au poste de commandement de Flüelen. Il reste alors assez de temps à la police pour fermer l’autoroute et laisser une partie des eaux s’écouler par-dessus la chaussée, afin d’assurer une meilleure protection des zones résidentielles et industrielles. L’aérodrome de Buochs (NW) peut lui aussi servir de corridor d’évacuation. Plusieurs zones inondables ont été délimitées le long de l’Aa d’Engelberg. Le déversoir le plus en aval comprend des plaques de béton placées dans un lit de gravier. En cas de crue, ces plaques basculent, empêchent les masses d’eau de traverser le village et les dirigent vers le lac des Quatre-Cantons en passant par l’aérodrome. La canicule de l’été 2003 a obligé les agriculteurs à arroser leurs cultures. Or les prélèvements opérés dans les petits cours d’eau ont parfois trop abaissé leur niveau. La température y est alors montée en flèche, ce qui a eu des effets néfastes sur la biocénose aquatique. En maints endroits, il a fallu provisoirement restreindre, voire interdire les prélèvements. La faune piscicole a été durement touchée. Elle était menacée à la fois par l’abaissement du niveau des eaux (certains ruisseaux se sont retrouvés à sec) et par leur réchauffement, qui peut s’avérer fatal pour certaines espèces de truite ou d’ombre. Des pêches préventives ont ainsi dû être organisées dans 265 cas au moins. Les crues sur la Reuss ou l’Aa d’Engelberg et les sécheresses comme celle de 2003 ont un point commun: sans relevés réguliers du débit, autrement dit sans l’hydrométrie, il serait difficile de prévoir et de prendre les dispositions nécessaires pour protéger les biens et les personnes ou les eaux et leurs biocénoses. En créant, en 1863, la Commission hydrométrique suisse, la Confédération a posé la première pierre d’un système d’observation. Les données recueillies ont permis de réaliser des projets de protection contre les crues, telle la correction des eaux du Jura, dont les travaux se sont étendus de 1868 à 1891 et ont porté sur plus de 100 kilomètres de rivières. Par la suite, les relevés ont également rendu de grands services aux centrales hydroélectriques et à la navigation.

Les débuts de l’hydrométrie sont bien antérieurs. Parmi les pionniers suisses, mentionnons Hans Conrad Escher (1767-1823), qui s’est rendu célèbre en corrigeant la Linth, et l’ingénieur bernois Robert Lauterburg (1816-1893), qui fut le premier à diriger le Bureau central suisse d’hydrométrie. Dans ses notes, Léonard de Vinci (1452-1519) décrit déjà ses tentatives pour découvrir le rapport entre la pente d’une rivière et la vitesse de l’eau. On raconte qu’il chantait la gamme tout au long de ses expériences. En l’absence de montre, cela lui donnait la mesure du temps…

Les méthodes modernes

De nos jours, les spécialistes ne sont plus obligés de maîtriser le chant et ne fondent plus leurs travaux sur des feuilles emportées par le courant. Pendant un siècle environ, ils ont surtout eu recours au moulinet hydrométrique, une roue à ailettes placée dans la rivière où le nombre de tours par unité de temps indiquait la vitesse de l’eau.

Purement mécanique à l’origine, le moulinet comprend désormais des éléments électroniques mais reste en usage. Depuis peu, on utilise aussi des appareils Doppler très perfectionnés, qui mesurent la profondeur et la vitesse de l’eau à l’aide d’ultrasons.

Grâce à Internet et aux SMS, les autorités et les services d’intervention, mais aussi les pêcheurs, les canoéistes et les baigneurs peuvent s’informer en tout temps sur le niveau et la température de l’eau, ainsi que sur les débits. Malgré l’électronique et les méthodes modernes, les spécialistes de l’hydrométrie sont loin d’être désœuvrés. Ils doivent en particulier déterminer les quantités d’eau charriées par les rivières, ce qui n’est pas sans risques en période de crues. Sur place, des personnes appelées observateurs de niveaux donnent par ailleurs un sérieux coup de pouce aux services fédéraux en vérifiant une à deux fois par semaine le bon fonctionnement des stations.

260 stations surveillées de près

Au fil des ans, le réseau de mesure s’est étendu. Actuellement, la division Hydrologie de l’OFEV gère quelque 260 stations sur les rivières et les lacs. Sur les cours d’eau, 200 d’entre elles mesurent non seulement le niveau mais aussi le débit. Dans 90% des cas, elles transmettent automatiquement les données à distance. Outre la Confédération, nombre de cantons et de centrales hydroélectriques possèdent leurs propres stations, surtout sur les petits cours d’eau.

Dans les années 1960, la qualité de l’eau a gagné en importance et on s’est mis à construire des stations d’épuration. Divers paramètres chimiques, tels le phosphate et le nitrate, sont venus s’ajouter aux relevés. Puis les observations ont été étendues aux pesticides et à d’autres composés traces dans les eaux souterraines, notre principale ressource en eau potable. Enfin, après les graves intempéries de 2005 et de 2007, la Confédération a développé la prévision afin de pouvoir alerter toute la population en cas de crue. « Pour établir des pronostics fiables, il faut enregistrer les données de base en permanence et élaborer des modèles toujours plus détaillés et proches de la réalité », explique Beat Sigrist, de l’OFEV.

De nombreux acteurs impliqués

A l’office, l’hydrologie occupe aujourd’hui plus de 60 personnes dont le travail sert de base à la protection contre les crues ainsi qu’à la protection et à l’utilisation des eaux. Des données essentielles pour leur gestion proviennent toutefois aussi d’autres institutions: l’Office fédéral de la météorologie et de la climatologie (MétéoSuisse) mesure la pluviométrie et l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) collecte des données sur la neige. Quant aux écoles polytechniques fédérales (EPFZ et EPFL), elles mettent au point des modèles destinés à mieux comprendre le régime hydrique et le comportement de l’eau. Les universités et les hautes écoles spécialisées participent également à ces recherches.

Toutes ces activités servent à mieux maîtriser l’eau, précieuse ressource à la puissance parfois dévastatrice, et à préserver sa qualité. Les spécialistes n’ont d’ailleurs pas fini d’en apprendre sur cet élément vital. L’un des gros défis consiste aujourd’hui à prévoir l’influence que les changements climatiques exerceront sur les débits saisonniers. Dans ce domaine, la Suisse pourra s’appuyer sur les travaux de ses pionniers: rares sont les pays qui disposent de séries de mesures aussi longues, pourtant indispensables pour établir les scénarios appropriés.

Mirella Judith Wepf

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Dernière modification 12.02.2013

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