Assainissements de grande envergure: Une entreprise de longue haleine

Le traitement des sites pollués en Suisse progresse comme prévu. Mais quels sont les facteurs de réussite d’un assainissement ? Les grands chantiers de Bonfol, dans le Jura, et du Pont Rouge dans le Bas-Valais montrent l’importance des approches techniques novatrices et d’une politique d’information transparente.

Texte: Kaspar Meuli 

Plus de 23 000 conteneurs de déchets chimiques ont été acheminés de l’ancienne décharge industrielle de Bonfol (JU) vers l’Allemagne et la Belgique, où ils ont été incinérés dans des fours à haute température. Cela représente un train dont les wagons mis bout à bout iraient de Lausanne à Berne. Tout le monde le comprendra : l’assainissement de grands sites contaminés pose un problème de logistique. Achevés en septembre 2016, les travaux à Bonfol auront duré seize ans en tout, dont onze ont été nécessaires à la planification et à la préparation. Au seul Office de l’environnement du Jura, le dossier occupe 155 classeurs fédéraux, et les spécialistes du canton y ont investi 27 000 heures. Les anciens exploitants de la décharge étaient responsables de l’organisation et de la réalisation proprement dites. Leur projet, accepté par les autorités, prévoyait entre autres la construction d’une immense halle destinée à éviter que des polluants ne se répandent aux alentours durant l’excavation. Un assainissement de grande envergure suppose donc au préalable un immense effort de planification.


Le rôle déterminant de la communication


Mais une planification réfléchie et une logistique sophistiquée ne suffisent pas. « L’importance que nous avons accordée à la sécurité et à la santé des personnes travaillant sur le chantier a sans aucun doute contribué au succès de l’opération », commente Jean-Pierre Meusy, de l’Office jurassien de l’environnement. Il souligne en outre le rôle déterminant qu’ont joué la transparence et la communication. « Le canton assumait une lourde responsabilité à Bonfol. Notre travail était suivi de près par les médias et les organisations non gouvernementales. »

Une commission d’information bénéficiant d’une large assise et réunissant plus de 20 organismes suisses et français a été mise en place pour renforcer la confiance de la population dans ce projet de 380 millions de francs. À l’issue de presque chacune de ses 68 séances, ses membres – parmi eux des représentants de Pro Natura et Greenpeace – commentaient la rencontre dans un entretien vidéo disponible sur le portail internet de la commission. Cette volonté d’ouverture qui accompagnait le traitement de l’ancienne carrière d’argile, située à quelques pas de la frontière franco-suisse, était due à un passé peu glorieux : il avait fallu attendre près de 25 ans avant que les instances impliquées ne se mettent enfin d’accord pour assainir définitivement ce site où la chimie bâloise avait éliminé des déchets hautement toxiques de 1961 à 1976.

Surveillance et mesures de sécurité

Le suivi environnemental a également concouru au climat de transparence. Des chromatographes en phase gazeuse analysaient plusieurs fois par jour l’air filtré évacué de la halle pour y vérifier l’absence de résidus polluants. La qualité des eaux souterraines et superficielles était elle aussi surveillée sur plus de 70 points de mesure autour de la décharge. Le public pouvait consulter les résultats des contrôles. Ce suivi n’était que l’une des coûteuses actions entreprises parmi d’autres afin de garantir la protection de l’environnement et de la population durant ces travaux extrêmement complexes.

Les dispositions prises pour assurer la sécurité du personnel ont été un autre facteur majeur de réussite. Les zones de travail propres étaient strictement séparées des zones contaminées. De plus, les employés étaient soumis à des contrôles de santé réguliers. Trois fois par an, ils devaient se prêter à des analyses d’urine et de sang susceptibles de détecter notamment des substances cancérigènes. Et après une violente explosion survenue en 2010 lors des travaux, les autorités exigèrent un renforcement des mesures de protection : excavation des déchets uniquement au moyen de grappins et de pelles mécaniques commandés à distance, et pose de vitrages blindés au centre de commande des opérations.

L’assainissement de Bonfol est l’un des trois grands projets terminés en 2016. Les travaux à la décharge du Pont Rouge à Monthey (VS) et celle de Kölliken (AG) – sans doute la décharge de déchets spéciaux la plus connue de Suisse – ont également été menés à terme avec succès. « Ce nettoyage est une tâche de longue haleine », indique Christiane Wermeille, qui dirige la section Sites contaminés à l’OFEV. « Nous avons bien progressé, puisque un millier de sites ont été traités jusqu’ici. » Ce sont pour la plupart des installations de tir, mais aussi 300 aires industrielles et décharges. Il reste cependant beaucoup à faire : selon des estimations, 3000 sites pollués doivent encore être assainis.

L’emploi de technologies novatrices

Le succès d’un projet d’assainissement dépend d’une série de paramètres, et l’aspect technique n’est pas des moindres. L’OFEV a analysé les technologies appliquées en Suisse sur la base des données disponibles. Il en ressort que dans la grande majorité des cas, les déchets stockés et le sous-sol pollué ont été excavés. Comme dans les trois exemples mentionnés, les matériaux d’excavation contaminés ont ensuite été éliminés dans le pays ou à l’étranger.

« L’excavation a certainement des avantages, explique Christiane Wermeille, c’est un procédé qui a fait ses preuves et dont la mise en œuvre est en général rapide. » Mais la méthode est chère et inadaptée lorsque les polluants sont difficilement accessibles parce que situés en zone bâtie, ou lorsqu’ils sont enfouis à une grande profondeur. Elle cause en outre une pollution non négligeable, car les déchets excavés doivent être transportés sur de longues distances et traités à grands frais, souvent pour finir dans des décharges. C’est pourquoi l’OFEV encourage aussi des solutions qui divergent de cette approche classique : ce sont les méthodes dites in situ, qui permettent de traiter sur place les substances toxiques des terrains contaminés.

L’exemple du Pont Rouge montre comment ces techniques fonctionnent concrètement. Le site avait accueilli de 1957 à 1979 les déchets de production de l’usine chimique de Monthey – surtout des pigments, des gâteaux de filtration, des boues et des gravats. En 2011, le canton du Valais et les diverses entreprises chimiques impliquées au fil du temps dans la décharge convinrent de l’assainir. La méthode choisie fut d’abord celle, courante, de l’excavation à l’abri d’une grande halle, comme à Kölliken et à Bonfol. Lorsque les déchets furent excavés, un traitement supplémentaire s’avéra cependant nécessaire sur une partie du site, car le sous-sol et les eaux souterraines affichaient eux aussi localement de fortes contaminations.

Un procédé thermique concluant

Après évaluation des avantages et des inconvénients présentés par les différentes techniques possibles, c’est un procédé thermique connu sous le sigle ISTD (In Situ Thermal Desorption) qui se révéla le plus approprié. Dans ce système, des lances d’acier enfoncées dans la terre sont chauffées à l’électricité de sorte que le sous-sol dépasse les 100 degrés Celsius. À cette température, les polluants infiltrés deviennent volatiles, ce qui permet de les aspirer et de les traiter dans une installation d’épuration des effluents gazeux. Quant aux eaux souterraines, elles furent nettoyées par injection de vapeur (Steam Enhanced Extraction). Avec ce procédé, les polluants passent aussi à l’état gazeux et peuvent ainsi être aspirés et éliminés.

La méthode thermique a donné d’excellents résultats au Pont Rouge. Le terrain à assainir mesurait 70 mètres de long et 25 mètres de large. Des dizaines de lances chauffantes y furent installées et restèrent en service pendant six mois environ. « Ces mesures ont été nettement plus efficaces que prévu », commente Sébastien Meylan, de la Compagnie industrielle de Monthey (CIMO) responsable des travaux. « Les polluants infiltrés dans le sous-sol et les eaux souterraines ont pu être réduits de 90 %, voire plus. » Cette réussite conforte l’OFEV dans sa démarche, qui consiste à soutenir le développement de techniques novatrices dans l’assainissement des sites contaminés. « Même si les procédés in situ ne conviennent sûrement pas dans tous les cas, la Confédération veut contribuer à restreindre les exportations de déchets à l’étranger grâce à l’application de nouvelles méthodes, explique Christiane Wermeille. Il est d’ailleurs souvent moins coûteux de traiter les polluants sur place que de les excaver, puis de les éliminer à l’extérieur. »

Transferts de savoirs

Les grands projets dont la réalisation n’a pas encore commencé pourront en partie tirer profit du savoir-faire acquis, tout comme des autres facteurs de réussite identifiés sur les chantiers maintenant bouclés.

Parmi les sites contaminés qui attendent d’être traités, il y a d’abord la décharge de La Pila, près de Hauterive (FR). Ici, à proximité immédiate de la Sarine, des déchets urbains et des déchets de chantier, mais aussi des résidus de l’artisanat et de l’industrie provenant de la ville de Fribourg et de ses environs ont été stockés de 1952 à 1973. La décharge municipale de Soleure, dite « Stadtmist », doit également être assainie. Avant qu’elle ne soit comblée en 1976, tous les déchets atterrissaient dans les trois fosses contiguës situées à la périphérie ouest de la ville. Outre les ordures, on y éliminait aussi des substances problématiques, des solvants par exemple, qui s’infiltraient généralement dans le sol. Un troisième projet concerne l’ancienne décharge de Feldreben à Muttenz (BL), qui accueillait des déchets urbains et une faible proportion de déchets chimiques. Après sa fermeture en 1967, la surface de 48 000 mètres carrés a été construite.

Ces trois assainissements devraient engloutir chacun plusieurs dizaines de millions de francs – des sommes qui montrent combien il est essentiel, en plus d’une planification, d’une logistique et d’une communication optimales, de recourir à des techniques aussi performantes que possible.

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Dernière modification 28.08.2017

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