Approche globale: Priorité à la qualité

Le sol remplit de nombreuses fonctions. Du fait de la diminution des réserves de bonnes terres arables, sa qualité mériterait d’être bien davantage prise en compte dans l’aménagement du territoire. Dans nos pays voisins, les cartes indiquant les propriétés des différents sols ont fait leurs preuves.

Texte: Urs Fitze 

Tenir compte des fonctions du sol dans les plans d’affectation (exemple fictif)

Quand on parle de fonctions du sol, la première qui vient à l’esprit est la production agricole, car c’est dans la terre fertile que pousse le blé dont est fabriqué notre pain quotidien. Ce point de vue est également très répandu en politique, ce qui explique l’entrée en vigueur en 1992 du plan sectoriel «Surfaces d’assolement» (SDA). Son but est de garantir un approvisionnement alimentaire suffisant à la Suisse. À cet effet, 438 560 hectares de terres arables sont protégés, soit près d’un tiers du sol cultivable. Cette mission incombe aux cantons.

Comme l’explique Michael Zimmermann, collaborateur scientifique du secteur Systèmes agro-environnementaux et éléments fertilisants de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), un groupe d’experts a été chargé d’élaborer d’ici fin 2017 des propositions visant à «renforcer et assouplir» le plan sectoriel. Pour être efficaces, les dispositions doivent être appliquées par les cantons. Ils y parviennent plus ou moins, à l’exception de quelques-uns qui n’arrivent pratiquement plus à maintenir la superficie minimale prescrite. «S’agissant des surfaces d’assolement, nous sommes déjà à la limite dans certains cantons, et cette situation pourrait s’étendre à l’ensemble du pays d’ici dix ans, si nous continuons ainsi», analyse Armin Keller, pédologue à l’Observatoire national des sols (NABO).

Élargir la protection

L’expansion continue des zones urbaines est la première cause de la raréfaction des terres cultivables. Pourtant, la Suisse a inscrit dès 1969 dans sa Constitution le principe d’une «utilisation judicieuse du sol» et d’une «occupation rationnelle du territoire.» En 1980 est entrée en vigueur la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT), qui confie cette tâche en premier lieu aux cantons. Malgré cela, l’urbanisation s’est poursuivie sans faiblir entre 1985 et 2009.

En 2014, la première étape de la révision de la loi sur l’aménagement du territoire a posé de nouveaux jalons: il existe dorénavant un mandat légal explicite qui spécifie que le développement urbain doit se faire vers l’intérieur, la création de zones constructibles reste possible, mais dans une mesure limitée. L’extension de la surface bâtie devrait ainsi se ralentir un peu. Mais un problème subsiste: la protection du sol inscrite dans la loi se concentre sur la superficie, donc sur la quantité, et ne considère guère la qualité du sol. Cette dernière est d’ailleurs loin de se limiter à son aptitude à la production agricole. «Nous devons prendre conscience que nous ne perdons pas seulement des terres cultivables, mais aussi des écosystèmes qui fournissent des services importants, notamment dans la protection contre les crues ou la préservation du climat», souligne Michael Zimmermann. Or, comme le confirme Armin Keller, «seule la fonction productive est prise en considération dans l’aménagement du territoire au travers du plan sectoriel des surfaces d’assolement.»

Vers un système de cartes et de bonus

L’une des raisons réside dans le fait que la plupart des cantons manquent de cartes pédologiques pouvant servir de base de décision dans la planification. Ainsi, de précieuses prestations du sol, comme la protection contre les crues ou l’épuration de l’eau potable, ne sont pas prises en compte dans l’évaluation de conflits d’affectation. «La conscience de l’importance du sol de même que les connaissances relatives à son état font défaut», conclut Armin Keller.

L’exemple de Stuttgart

Pourtant, les instruments d’évaluation globale ne manquent pas. Ainsi, l’Allemagne et l’Autriche utilisent des cartes des fonctions du sol dans une approche d’aménagement intégré du territoire. La ville de Stuttgart (D) par exemple emploie une carte qui classe les sols en six niveaux de qualité, représentés par des couleurs différentes, selon leur aptitude et leurs fonctions. Elle sert de base pour déterminer des contingents à l’aide de points d’indice qui permettent une évaluation rapide de l’évolution. Les meilleurs sols obtiennent davantage de points, les plus médiocres moins. Ce genre de système préserve l’autonomie des communes en matière de planification, car elles peuvent librement disposer de leur « réserve » de points (mais ceci seulement dans la limite de la perte maximale de points tolérable). Elles sont incitées à préserver les sols les mieux cotés afin de conserver le plus longtemps possible une qualité élevée. «Ce type d’instrument pourrait aussi avoir de l’avenir en Suisse», estime Ruedi Stähli, collaborateur scientifique à la section Sol de l’OFEV. «L’approche actuelle, concentrée sur la fonction productive, serait ainsi remplacée par une appréciation globale de la qualité du sol.»

L’économiste Felix Walter, membre de l’institut de conseil Ecoplan et responsable de la synthèse «Vers une politique durable des sols» du programme «Utilisation durable de la ressource sol» du Fonds national de la recherche (PNR 68), est aussi d’avis que la stratégie de Stuttgart offre un bon exemple de solution basée sur des contingents. «Cependant, elle est limitée à une ville et fondée sur un engagement volontaire. Une possibilité serait d’améliorer la protection des surfaces d’assolement en intégrant plus globalement la qualité du sol dans les décisions en matière d’aménagement du territoire et en prévoyant une compensation des pertes qualitatives.» Selon Armin Keller, cette compensation pourrait se réaliser à un niveau intercantonal en utilisant des matériaux terreux décapés pour valoriser les sols de moins bonne qualité.

Bien qu’il existe des instruments prometteurs pour évaluer la qualité des sols et préserver les meilleures terres, il ne sera pas facile de donner à la protection du sol l’importance qu’elle mérite dans la mise en balance des intérêts. La sensibilisation des milieux politiques et de la population aux nombreuses fonctions du sol joue en l’occurrence un rôle déterminant. «Et nous devons sérieusement nous demander quelles sont les limites de la consommation du sol par l’habitat et les infrastructures, autrement dit, comment nous voulons gérer l’utilisation de cette ressource non renouvelable qu’est le sol», ajoute Ruedi Stähli.

Felix Walter estime lui aussi qu’il faudra «beaucoup de travail de persuasion et d’information» pour qu’une limitation de la croissance urbaine parvienne un jour à réunir une majorité. Il constate certes que «des arguments comme la protection du paysage et des terres cultivables recueillent une large adhésion, comme le confirment diverses études du PNR 68 ainsi que l’initiative nationale sur les résidences secondaires et des initiatives cantonales sur les terres agricoles». Mais des analyses concernant l’acceptation d’instruments politiques réalisées par Adrienne Grêt-Regamey, directrice de l’Institut pour l’aménagement du territoire et le développement du paysage à l’École polytechnique fédérale de Zurich, montrent néanmoins que «bon nombre d’électeurs raisonnent d’après leur situation et leur implication personnelles, par exemple selon qu’ils sont propriétaires fonciers ou locataires». Dans le cadre du PNR 68, elle a étudié l’argumentation utilisée dans le contexte de l’aménagement du territoire. Pour beaucoup, la crainte d’un renforcement excessif des pouvoirs des autorités communales vis-à-vis des particuliers semble plus importante que l’efficacité d’un instrument. D’une manière générale, l’aménagement du territoire est perçu comme un domaine complexe. Des arguments tels que la limitation de la consommation des sols de qualité ne sont efficaces que si l’effet est bien visible. «Il faut des explications claires et pertinentes pour convaincre les sceptiques», souligne la scientifique.

Au sein de l’administration, on semble avoir reconnu l’urgence de cette problématique. L’OFEV collabore avec d’autres offices fédéraux et avec les cantons dans l’élaboration d’une stratégie nationale sur le sol. L’accent portera sur les fonctions du sol et sur une meilleure coordination entre l’Office fédéral du développement territorial (ARE), l’OFAG, l’OFEV et les cantons. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, comme le souligne Michael Zimmermann: «La ressource sol ne pourra être préservée que si toutes les autorités compétentes œuvrent dans le même sens.»

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Dernière modification 29.11.2017

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