Prévention des accidents majeurs sur les conduites de gaz: Agir avant la catastrophe

Le réseau suisse de transport de gaz naturel qui approvisionne les ménages et les entreprises s’étend sur près de 2300 kilomètres. Les accidents graves dus à des explosions sont extrêmement rares. Pour faire en sorte qu’il en soit toujours ainsi, le réseau fait actuellement l’objet de contrôles minutieux.

Texte: Peter Bader

Gasexplosion im belgischen Ghislenghien
Lors de l’explosion de Ghislenghien en 2014, les flammes ont atteint 100 mètres de haut.
© sda-ky

Il est 8 h 30 quand les ouvriers d’un chantier alertent les pompiers : ils ont senti une forte odeur de gaz. Une demi-heure plus tard, alors que les secours s’apprêtent à sécuriser la zone, plusieurs déflagrations se produisent. Elles détruisent trois usines, creusent un cratère de 4 mètres de profondeur et de 10 mètres de largeur, et éventrent un gazoduc sur une longueur de 200 mètres. Les flammes, qui atteignent par endroits 100 mètres de hauteur, sont visibles à une distance de 15 kilomètres. La catastrophe, survenue le 30 juillet 2004 à Ghislenghien en Belgique, fait 24 morts et 132 blessés graves.

La situation en Suisse

Ce tragique accident est dû à l’endommagement involontaire d’une conduite de gaz souterraine par un engin de chantier. À ce jour, la Suisse n’a connu aucun accident de cette ampleur sur son réseau de transport de gaz naturel à haute pression. Un seul incident – la rupture d’un gazoduc sous l’effet d’un glissement de terrain – a été recensé en 2014 à Reigoldswil (BL). Fort heureusement, la fuite a été décelée grâce au sifflement émis par le gaz, ce qui a permis d’éviter qu’il ne s’enflamme. Personne n’a été blessé.

Néanmoins, la question se pose : quel est le risque réel d’accident sur le réseau de gazoducs à haute pression en Suisse ? Y a-t-il lieu de s’inquiéter? La réponse est non. Quoique…

Le gaz naturel est une source d’énergie relativement récente en Suisse. Utilisé à grande échelle à partir des années 1970, il représente aujourd’hui près de 15 % de la consommation énergétique totale. Comme pour le pétrole, la Suisse est entièrement tributaire des importations. Le gaz est acheminé depuis les réseaux à haute pression étrangers vers les exploitants des gazoducs de tout le pays à partir de différents points d’entrée situés dans l’ouest, le nord, l’est et le sud du territoire. Les conduites mesurent de 10 à 120 centimètres de diamètre et affichent une pression maximale de 85 bars. S’étendant sur près de 2300 kilomètres, le réseau de distribution alimente les ménages (chauffage et cuisson), ainsi que les entreprises industrielles et artisanales.

Accumulation des conflits

Le réseau de gaz naturel répond à toutes les exigences techniques de la loi sur les installations de transport par conduites (LITC) en matière de sécurité. « Du point de vue technique, le réseau suisse de gazoducs à haute pression est sûr », déclare Michael Hösli, de la section Prévention des accidents majeurs et mitigation des séismes à l’OFEV.

Il est cependant légitime de se demander dans quelle mesure la croissance démographique continue, notamment dans les zones où se trouvent les gazoducs à haute pression, n’augmente pas le risque d’accident. Il y a 40 ans, la structure de l’habitat était encore relativement compacte en Suisse : le réseau à haute pression se situait donc à bonne distance des communes et des zones industrielles. Avec l’extension des zones bâties et la densification des centres-villes, une partie des conduites passent désormais à proximité d’agglomérations ou d’entreprises très fréquentées. Ce qui ne va pas sans générer des conflits entre l’approvisionnement en gaz et les autres utilisations.

C’est cette évolution qui a incité en 2013 la Confédération à soumettre le réseau de gaz naturel à haute pression – après les entreprises chimiques et le transport des matières dangereuses par la route et le rail – à l’ordonnance sur les accidents majeurs, entrée en vigueur en 1991. Les autorités ont ensuite instauré un processus d’évaluations et de contrôles réguliers, comme pour toutes les autres installations relevant de l’ordonnance. Le réseau des oléoducs (200 kilomètres) fait lui aussi l’objet d’inspections rigoureuses, notamment en raison des risques qu’il présente pour l’environnement.

Ces inspections visent en particulier à répondre aux interrogations suivantes : quelle est la probabilité d’accident ? Quelle serait la gravité des dommages ? Faut-il craindre des morts et des blessés ? Toutes ces questions permettent non seulement d’évaluer les risques, mais aussi de se projeter dans l’avenir. En effet, la modification de l’affectation d’une zone, par exemple, ou la réalisation de travaux sur un terrain à proximité d’une conduite de gaz naturel impose au préalable d’évaluer les risques (voir encadré page 32). Si ceux-ci sont trop importants, des mesures de mise en sécurité des conduites ou d’aménagement du territoire doivent être envisagées pour les réduire.

Des risques acceptables

Depuis 2013, les exploitants de gaz naturel ont donc procédé à des évaluations des risques en collaborant avec des entreprises spécialisées. La supervision de ces travaux incombe à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), en concertation avec l’OFEV et l’Inspectorat fédéral des pipelines (IFP). Le bilan est plutôt positif : « Pour une majorité de gazoducs, les risques se situent dans le vert, autrement dit à un niveau acceptable », indique Anja Maurer, responsable de la surveillance du transport par conduites à l’OFEN. Certaines conduites présentent cependant des risques plus importants dans les zones urbaines, et font actuellement l’objet de contrôles plus approfondis. Les résultats sont attendus pour fin juin 2022.

Dans de très rares cas, les exploitants ont dû modifier des conduites pour protéger la population, précise Anja Maurer. « La pose de plaques de protection en béton ou en plastique constitue la mesure la plus courante. Elles permettent d’éviter que les conduites ne soient endommagées lors de travaux, ce qui représente de loin la principale cause d’accident. » C’était justement le cas à Ghislenghien, en Belgique. Une telle catastrophe ne devrait jamais se produire en Suisse.

Le Champ-du-Château, un cas exemplaire

Dans le canton de Genève, il s’agissait de la dernière parcelle libre située dans une zone d’exception, avec vue sur le Léman. Le domaine du Champ-du-Château, à Bellevue, aux portes de Genève, s’étend sur près de 53 000 mètres carrés, l’équivalent de sept terrains de football. Le changement d’affectation en zone à bâtir en 2013 a nécessité l’élaboration d’un plan de quartier et la définition de nouvelles conditions d’utilisation. Depuis, la construction de logements, d’immeubles de bureaux et du nouveau siège principal de la banque privée Lombard Odier, conçu par le célèbre bureau d’architecture bâlois Herzog & de Meuron, a démarré. Du fait de cette densification urbaine, le nouveau plan d’affectation a dû être mis en conformité avec les dispositions de l’ordonnance sur les accidents majeurs. Une conduite de gaz naturel passe en effet en bordure du terrain, à proximité immédiate du nouveau siège de la banque. Or celui-ci accueillera à partir de 2023 près de 2000 personnes…

Erdgasleitung in Bellevue (GE)
À Bellevue, le gazoduc a dû être enfoui 3 mètres plus bas.
© zVg

Gaznat, l’exploitant du gazoduc, a confié l’évaluation des risques à trois entreprises spécialisées. Il en a résulté l’élaboration et l’adoption de mesures appropriées, en collaboration avec les services cantonaux compétents et les autorités fédérales. Concrètement, la conduite a été enfouie 3 mètres plus bas et se trouve désormais à 4 mètres de profondeur. Le tube d’acier, dont l’épaisseur a été doublée (passant de 5 à 10 millimètres) a été recouvert par des plaques de protection en béton. Enfin, la pose de câbles en fibre de verre dans le sol au-dessus du pipeline permettra à Gaznat de mesurer jusqu’aux plus petites secousses afin de détecter et d’empêcher des travaux de génie civil non autorisés susceptibles d’endommager la conduite. « Cette combinaison de mesures réduit les risques pour la population à un niveau acceptable », souligne Fabrice Volluz, chef de projet chez Gaznat.

Fabrice Volluz, Gaznat
Fabrice Volluz, chef de projet chez Gaznat
© Flurin Bertschinger | Ex-Press | BAFU

L’opération a commencé par la purge du gaz dans le segment de la conduite concerné et la mise en place d’obturateurs pour l’isoler. Une fois les transformations réalisées, les experts ont soumis la nouvelle conduite à un test de pression avec de l’eau durant deux heures, avant de la raccorder au réseau de gaz. Depuis le début des travaux de construction dans la zone, un collaborateur de Gaznat se rend chaque semaine sur le chantier pour surveiller les alentours du gazoduc et identifier les risques éventuels. Fabrice Volluz se dit très satisfait de la collaboration avec toutes les autorités impliquées. En vertu du principe du pollueur-payeur, inscrit dans la loi sur la protection de l’environnement, Gaznat a pris en charge les coûts de l’ensemble des travaux effectués sur la conduite de gaz naturel.

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Dernière modification 24.02.2022

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