06.07.2023 – Exterminé en Suisse par le passé, le castor a fait son retour dans une grande partie de nos eaux. Ses constructions et son mode de vie fascinent : plus grand rongeur d’Europe, il façonne des paysages et crée des biotopes extrêmement précieux pour la nature et pour nous, les humains. Mais là où l’espace se fait rare, des conflits peuvent apparaître.
Peut-être l’avez-vous déjà rencontré lors d’une promenade au crépuscule ? Vous avez aussi certainement vu ses traces le long d’un cours d’eau : un barrage, une hutte, un arbre rongé ou même abattu. Ces derniers mois, plus de 400 volontaires ont suivi sa piste, à la demande de l’OFEV. Pour un résultat impressionnant : exterminé en Suisse par le passé, le castor est aujourd’hui de retour et compte plus de 4900 individus.
Le plus grand rongeur d’Europe
Pesant entre 20 et 30 kg, le castor est plus lourd qu’un chevreuil. Son apparence un peu balourde cache de nombreux atouts : pensons à ses quatre incisives, dont l’émail contient du fer et qui lui permettent de mordre dans du bois très dur. Ses pattes avant sont un outil idéal pour creuser des terriers et pour construire des huttes et des barrages. Ses pattes arrière lui servent de pagaie. Un attribut caractéristique de l’animal est sa queue, en forme de truelle. Elle lui sert de gouvernail pour nager, de réserve de graisse pour l’hiver et aussi de moyen de communication, car lorsque le castor frappe la surface de l’eau avec sa queue, il alerte sa famille d’un danger.
Le castor est purement végétarien. En été, il mange toutes sortes de plantes qui se trouvent dans ou près de l’eau. En hiver, il se nourrit d’écorce et de bourgeons. Comme il n’est pas capable d’escalader, il n’hésite pas à abattre des arbres. Avec le bois récolté, il construit des huttes et des barrages. Dans les zones alluviales, où la nourriture est abondante, on peut trouver une hutte habitée, soit une famille de castors, tous les 500 mètres. Si la nourriture est rare, une famille a besoin à elle seule de plusieurs kilomètres de cours d’eau.
Lorsque des castors étrangers s’aventurent sur leur territoire, les parents castors défendent coûte que coûte leur hutte et leurs petits, jusqu’à la mort si nécessaire. Pour nous, les humains, ils ne présentent aucun danger. Il est néanmoins recommandé de ne pas se baigner ni plonger trop près des habitations de castors.
Un retour réussi
Le castor européen existe depuis 15 millions d’années déjà. Il était en réalité très répandu dans toute l’Eurasie. Sa population d’alors est estimée à 100 millions d’individus. C’est lors des derniers siècles qu’il a été presque exterminé. De sa précieuse fourrure, on faisait des chapeaux ; du castoréum – une sécrétion lui permettant de marquer son territoire –, un remède miracle à toutes sortes de maux. C’est aussi pour sa viande, qui serait savoureuse, que le castor a été chassé à l’excès. Seuls 1000 à 2000 individus ont survécu en Europe. En Suisse, le dernier castor fut abattu au début du 19e siècle.
Entre 1956 et 1977, des militants ont introduit en Suisse 141 individus issus de diverses régions d’Europe. Cette réintroduction, non coordonnée par la Confédération à l’époque, s’est révélée être un succès, malgré de nombreuses pertes d’individus : les effectifs se sont lentement rétablis avant d’augmenter en flèche ces dernières années. « Une évolution normale pour un grand mammifère territorial comme le castor », constate Christof Angst, responsable du service conseil castor, rattaché à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). « Nous partons du principe que cette croissance se stabilisera un jour ou l’autre, car beaucoup de tronçons de cours d’eau compatibles avec la présence du castor sont aujourd’hui occupés. »
En 2022, grâce au développement réjouissant des dernières années, le mammifère a été retiré des espèces menacées inscrites sur la liste rouge. Sa protection est garantie depuis 1962 par la loi sur la chasse. Le castor est capable de modifier très efficacement son milieu à son avantage. Pour sa sécurité, ses habitations ne sont accessibles qu’en plongeant sous l’eau. Il construit un barrage si le niveau d’eau est trop bas. C’est ainsi qu’il transforme les cours d’eau et crée de nouvelles zones humides.
Son élan de construction, un atout pour l’homme et l’environnement
Depuis 2020, un projet de recherche sur le castor est en cours sur mandat de l’OFEV. « Ce projet étudie la population actuelle, mais aussi, par exemple, l’incidence du castor sur la biodiversité, sur l’équilibre entre azote et carbone dans les eaux ou sur la migration des poissons », explique Claudine Winter, cheffe de projet et collaboratrice au sein de la section Faune sauvage et conservation des espèces à l’OFEV. « Nous voulons comprendre quel rôle peut prendre cet architecte-paysagiste dans le renforcement de l’infrastructure écologique, c’est-à-dire le réseau vital de la Suisse. » Les résultats sont attendus à l'automne prochain. En outre, un modèle des plaines alluviales créées par le castor montre dans quels cours d’eau il faut s’attendre à la présence de barrages, avec quels effets sur le paysage et la nature environnants.
Comme on peut le voir à Marthalen (ZH), la présence du castor modifie de manière visible un paysage. À cet endroit, des libellules, des batraciens, des poissons et des plantes aquatiques sont revenus. Le martin-pêcheur y chasse aussi régulièrement. « Là où le castor construit, nous avons pu constater en l’espace de quelques années une forte hausse du nombre d’espèces », observe Christof Angst. En rongeant, en creusant et en construisant des barrages, le castor crée un paysage qui se transforme en permanence. « Une toute petite mare, un grand étang, un tas de bois mort ou une portion de forêt qui laisse entrer la lumière du soleil, tout cela donne naissance à des milieux naturels qui offrent nourriture, sites de reproduction et abris à de nombreux êtres vivants », explique le spécialiste.
Le travail du castor est d’autant plus précieux qu’en Suisse, nous avons perdu 90 % des zones alluviales, lesquelles comptent parmi les milieux naturels les plus riches en espèces dans ce pays. Ce recul massif est dû à la rectification des fleuves et à l’assèchement des zones humides réalisés lors des deux derniers siècles. La synthèse des listes rouges publiée récemment par l’OFEV révèle que les milieux naturels aquatiques, et avec eux, les plantes, animaux et champignons qui y vivent, sont parmi les plus menacés de Suisse.
Autrefois – Aujourd’hui : les zones alluviales étaient autrefois très répandues en Suisse
Comme de nombreuses autres rivières en Suisse, la Thur a été rectifiée au 19e siècle. Visualisez la rectification et la renaturation du cours de la rivière sur map.geo.admin.ch via la fonction Voyage dans le temps.
Remédier aux conflits
La médaille a toutefois son revers : il n’est pas possible de laisser le castor travailler partout sans restriction. En effet, sa propagation dans les petits ruisseaux a entraîné des conflits ces dernières années. De nombreux dommages aux arbres et aux terres cultivées peuvent être évités grâce à des moyens simples, comme la pose d’un grillage ou d’une clôture. Des indemnisations sont en outre versées pour compenser les pertes agricoles dues à l’appétit du castor. La tâche est plus ardue lorsque le mammifère creuse sous des routes ou des sentiers, ou que ses barrages inondent des cultures.
Le service conseil castor propose aux cantons des solutions à de nombreux conflits. Le Plan Castor Suisse de la Confédération concrétise la gestion du castor et sert d’aide à l’exécution aux cantons.
Plan Castor Suisse
Aide à l’exécution de l’OFEV relative à la gestion du castor en Suisse. 2016
« Le retour du castor est une excellente nouvelle pour la nature et l’homme », se réjouit Christof Angst. « Nous en bénéficierons à maints égards si nous trouvons de bonnes solutions aux conflits qui posent problème. » Les premiers résultats tirés du rapport de recherche actuel, de même que des études réalisées à l’étranger, révèlent que l’influence du castor et de ses barrages peut être positive pour la qualité des eaux comme pour leur température. Dans les lieux où des barrages sont construits, on trouve des microorganismes, des planctons et des plantes aquatiques qui purifient l’eau en absorbant les excédents de nutriments.
Le barrage favorise aussi les échanges entre les eaux souterraines et l’eau des ruisseaux, ce qui peut refroidir cette dernière et contribuer à la rendre plus résistante aux effets des changements climatiques. Claudine Winter est convaincue : « Si nous exploitons de manière ciblée le potentiel du castor et si nous mettons à sa disposition l’espace nécessaire, il sera un partenaire important pour le maintien et le développement de la biodiversité, notre base d’existence. »
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Dernière modification 23.04.2024