29.05.19 - Les canicules comme celles des étés 2003, 2015 et 2018 seront plus fréquentes à l’avenir. Formant des îlots de chaleur dans le paysage, les villes et les agglomérations sont particulièrement concernées par ce phénomène. Mais que peut-on faire pour que le climat local reste supportable ?
Texte : Hansjakob Baumgartner
Même si nous parvenons à limiter le réchauffement climatique mondial à
2 °C en faisant rapidement baisser les émissions de gaz à effet de serre, il nous faudra affronter des périodes de grande chaleur. Les derniers scénarios climatiques concernant la Suisse indiquent en effet que nous devrons tout de même nous attendre à une hausse des températures estivales entre 0,9 et 2,5 °C d’ici 2050. Les années exceptionnelles sont en passe de devenir la norme : les vagues de chaleur prolongées, au cours desquelles le thermomètre franchit la barre des 30 °C l’après-midi et ne descend pas sous celle des 20 °C la nuit, surviendront presque chaque année.
La chaleur excessive présente des risques pour la santé, surtout chez les personnes âgées et les enfants en bas âge. Les étés très chauds enregistrent des taux de mortalité accrus, essentiellement en raison de maladies cardiovasculaires. Ainsi, 975 décès dus à la chaleur ont été recensés pendant la canicule de 2003 en Suisse. Durant l’été 2015, le deuxième été le plus chaud depuis le début des mesures en 1864, près de 800 personnes sont décédées pour les mêmes raisons.
Gare aux îlots de chaleur !
Le climat du futur devrait être particulièrement néfaste pour la population urbaine, les villes et les agglomérations se transformant en îlots de chaleur. Les surfaces construites, de couleur foncée, absorbent les rayons du soleil, tandis que les vents apportant un peu de fraîcheur circulent mal du fait de la densité des bâtiments. S’y ajoutent les rejets thermiques de l’industrie, de l’artisanat, du trafic et des ménages. Pendant la journée, l’air est donc plus chaud en ville qu’à la campagne. La nuit, il peine à refroidir, les bâtiments emmagasinant la chaleur comme des poêles en faïence. D’après les dernières cartes d’analyse climatique, la température mesurée dans les quartiers de la ville de Zurich peut être de 6 à 7 °C supérieure à celle des zones rurales périphériques.
La stratégie du Conseil fédéral pour adapter la Suisse au changement climatique accorde donc une attention toute particulière aux villes et aux agglomérations. Mais que faire concrètement pour atténuer l’effet îlot de chaleur ? « De manière générale, il faut davantage d’espaces ouverts comportant des zones de verdure, des lieux ombragés et des points d’eau librement accessibles et rafraîchissants », indique Roland Hohmann, codirecteur de la section Rapports climatiques et adaptation aux changements à l’OFEV. « La circulation de l’air frais provenant des zones périphériques doit en outre être assurée. »
Plus d’arbres et d’espaces verts
À l’ombre d’un arbre, la température diurne peut être jusqu’à 7 °C plus fraîche qu’autour. Une mesure efficace consiste donc à planter des arbres dans les espaces fréquentés. Les grands arbres séculaires offrant une couronne volumineuse sont idéals. En ville, leur espérance de vie est toutefois diminuée ; les racines disposent d’une place limitée, l’apport d’eau est souvent insuffisant et l’air pollué. À quoi s’ajoute le stress lié au changement climatique. Les espèces plantées doivent donc pouvoir supporter la chaleur et la sécheresse. Pour reboiser le sentier du lac de Port-de-Serrières à Neuchâtel, le choix s’est porté sur le pin parasol, une essence du bassin méditerranéen. La Ville de Berne mise sur l’érable de Montpellier, l’érable d’Italie ou le chêne lombard, tous originaires de régions chaudes.
Sur l’asphalte, l’eau de pluie s’écoule directement dans les égouts. En revanche, sur les surfaces désimperméabilisées, elle peut s’infiltrer et s’évaporer à nouveau par la suite. Ce phénomène prélève de la chaleur dans l’air ambiant. Si les surfaces sont végétalisées, il est complété par la transpiration des plantes. Dans le cas d’un arbre d’envergure, ce sont ainsi plusieurs centaines de litres d’eau qui s’évaporent par le truchement du métabolisme végétal. Les espaces verts créent de cette manière des oasis de fraîcheur dans les quartiers urbains. La nuit, l’air frais qui y est généré circule dans les zones d’habitation voisines. Néanmoins, cet effet à distance dépend beaucoup de la taille de l’espace vert : il n’est prouvé qu’à partir d’une surface de 1 hectare (10 000 mètres carrés).
Davantage de plans d’eau
Les plans et cours d’eau ont aussi un pouvoir rafraîchissant dû à l’évaporation, celui des rivières étant plus élevé que celui des étangs. En effet, le mouvement des eaux augmente la surface d’évaporation et renforce les échanges avec les couches plus profondes et plus froides.
À Bienne, le parc de l’Île-de-la-Suze, un espace de détente qui s’étend sur
5,4 hectares, fait la part belle à la rivière. Le groupe Swatch et la fondation de prévoyance Previs sont, dans une certaine mesure, à l’origine de l’aménagement de cet espace de détente, puisqu’ils souhaitaient y construire initialement l’un un bâtiment et l’autre un lotissement. La Suze, qui coulait jusqu’alors de façon monotone entre des blocs de pierre, a été transformée en cours d’eau dynamique. Des talus engazonnés et des rives plates agrémentées de plages de gravier bordent désormais la rivière.
Dans le nouveau quartier Glattpark à Opfikon (ZH), un parc de 13 hectares a été aménagé pour compenser la densification du milieu bâti. Son cœur est constitué d’un lac où poussent des roseaux, des nénuphars et d’autres plantes aquatiques. Bien qu’alimenté par l’eau qui s’écoule des toits avoisinants, il est adapté à la baignade.
Des toits blancs ou végétalisés
Les toits constituent aussi des surfaces végétales potentielles. Sur les toits plats végétalisés, 50 à 70 % des précipitations annuelles, selon la biomasse par surface, retournent par évaporation dans l’atmosphère. Ce phénomène entraîne une réduction de la température des locaux situés sous les combles de 3 à 5 °C en été.
À proximité du sol, les toitures végétalisées ne font effet que si elles présentent une surface supérieure à 100 mètres carrés et une hauteur maximale de 10 mètres. Celles situées sur des bâtiments bas et étendus, tels que des halles industrielles, offrent donc davantage de potentiel. Quant aux façades végétalisées, elles s’avèrent plus efficaces au niveau de la rue, là où se trouvent les passants.
Les vents des zones périphériques atténuent en outre l’effet îlot de chaleur. Les corridors d’air frais ne doivent donc pas être entravés par des bâtiments, qu’il convient d’orienter dans le sens du vent et non contre celui-ci. La Ville de Bâle s’est dotée de recommandations de planification en ce sens, qui reposent sur une analyse climatique de la région bâloise (KABA) élaborée par l’Université de Bâle et le canton.
Les surfaces claires reflètent la lumière et chauffent donc moins que les foncées. L’idée de peindre en blanc tous les toits de la planète a d’ailleurs déjà été évoquée dans les débats sur le climat. Si cette approche n’est pas très réaliste à l’échelle mondiale, elle pourrait avoir un impact au niveau local. À Los Angeles, à titre expérimental, la ville repeint ses rues à l’aide d’un enduit réfléchissant de couleur claire depuis mai 2017. Les premiers résultats sont prometteurs. Selon l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA), la diminution de la température dans une ville pourrait atteindre 0,6 °C si 35 % des rues étaient recouvertes d’un revêtement réfléchissant.
Planifier en pensant au climat
La nécessité de densifier les zones urbanisées existantes au lieu de construire sur des terrains vierges constitue un défi particulier. Une planification bien pensée permet toutefois de réduire l’effet îlot de chaleur dans la zone concernée malgré l’augmentation du bâti. Le point essentiel est de tenir compte de l’aspect climatique dès le départ.
C’est l’approche qui a été suivie lors de la construction du quartier d’Erlenmatt à Bâle. Une réorganisation interne des chemins de fer allemands (DB) a permis de libérer une partie de l’aire de la gare de triage, qui a pu être réaffectée à un nouveau quartier. Le concours d’urbanisme lancé en 1998 définissait des conditions intégrant des aspects climatiques locaux, comme la ventilation du quartier ou la végétalisation d’une grande part de sa surface. Cette zone, jadis presque entièrement imperméabilisée, accueille désormais non seulement 700 appartements, mais aussi un grand parc de 5,7 hectares.
Dans le cas du lotissement de 6,5 hectares à la Thurgauerstrasse à Zurich, le cahier des charges incluait également des directives en matière de développement adapté aux changements climatiques. Une grande partie de la superficie est aujourd’hui occupée par des jardins familiaux. Un quartier mixte, destiné à accueillir 1800 personnes et répondant aux objectifs de la « société à 2000 watts », doit y voir le jour. Le projet a démarré en 2014 avec un processus pilote. Les directives portent entre autres sur des corridors de ventilation et la planification d’une part suffisante d’espaces verts. La moitié de la surface doit rester perméable.
Le concept de « ville éponge »
Le changement climatique n’a pas seulement pour effet de prolonger les périodes de canicule, il modifie aussi le régime des précipitations. Il faut ainsi s’attendre à des étés plus secs et à des hivers plus humides. Par ailleurs, les épisodes de fortes pluies devraient devenir plus fréquents.
En conséquence, les espaces verts situés dans les villes devront être plus souvent arrosés. D’autre part, la part importante de surfaces imperméabilisées dans les villes augmente le risque d’inondation en cas de fortes précipitations. Un stockage ciblé des eaux pluviales destiné à un arrosage ultérieur permet de traiter les deux problèmes en parallèle. En termes d’urbanisme, le concept de « ville éponge » s’est imposé pour désigner cette approche. Au lieu d’être rapidement évacuée via les égouts, l’eau qui ruisselle des toits, des routes et des places asphaltées est stockée dans des citernes souterraines ou des bassins d’accumulation. En cas de besoin, elle est pompée vers les lieux de verdure.
Dans le quartier berlinois d’Adlershof en Allemagne, les autorités ont développé un système de gestion de l’eau exemplaire. Des rigoles en bordure des routes récoltent l’eau de pluie, qui peut s’infiltrer lentement dans la terre. L’excédent est dirigé vers des cuvettes d’infiltration plus grandes. Les toits végétalisés contribuent également à ralentir l’écoulement de l’eau de pluie.
Quand la ville surchauffe
Publié à la fin de l’année 2018, le rapport de l’OFEV intitulé Quand la ville surchauffe – Bases pour un développement urbain adapté aux changements climatiques montre, sur la base d’exemples en Suisse et à l’étranger, comment l’effet îlot de chaleur peut être atténué dans les villes et les agglomérations. La publication définit ainsi des bases de planification, de même que des principes et des mesures en matière d’urbanisme.
En photo : la tour Il Bosco verticale (la forêt verticale) à Milan
Publications
Quand la ville surchauffe
Bases pour un développement urbain adapté aux changements climatiques. 2018
Impulsions pour une adaptation de la Suisse aux changements climatiques
Conclusions de 50 projets pilotes de la seconde phase du programme pilote Adaptation aux changements climatiques. 2023
Informations complémentaires
Dernière modification 29.05.2019