Technologies: Les principales approches des émissions négatives

La Suisse souhaite réduire ses émissions de gaz à effet de serre jusqu’à atteindre le zéro net d’ici à 2050. Pour cela, elle devra recourir aux technologies d’émission négative (NET). Voici un aperçu des principalesapproches en la matière.

Texte: Bettina Jakob

Les choses sont simples : si la Suisse veut pouvoir réaliser ses objectifs climatiques, elle devra se défaire du charbon, du pétrole, du gaz, de l’essence et du diesel. Et quand bien même elle réussirait à abandonner les agents fossiles, des émissions difficiles à éviter provenant par exemple de l’agriculture, de l’incinération des déchets ou de la production de ciment demeureraient (voir aussi p. 9). Des technologies d'émission négative (NET) permettraient de compenser ces émissions résiduelles dans la mesure où celles-ci ne peuvent être captées directement à la source ni stockées. La solution consiste alors à extraire durablement le CO2 de l’atmo-sphère. Dans sa Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral estime à 7 millions de tonnes d’équivalent CO2 (éq.-CO2) la quantité des émissions qui devront être compensées chaque année.

Approche nº 1 - Boisement des fôrets et utilisation accrue du bois

Lors de la photosynthèse, les arbres absorbent le CO2 et le transforment en matière organique. La forêt est donc un puits de carbone naturel. Elle absorbe 2,5 millions de tonnes de CO2 par an. Toutefois, pour que les forêts suisses puissent compenser d’importantes quantités d’émissions résiduelles, leur adaptation au changement climatique devra être soutenue par différentes mesures sylvicoles. Le bois devra être récolté régulièrement et durablement. La biomasse renouvelable devra également être utilisée dans la construction de produits à longue durée de vie tels que les bâtiments. En théorie, cette approche permettrait de produire chaque année, en Suisse, des émissions négatives pour un à deux millions de tonnes d’éq.-CO2. Par ailleurs, l’incinération de produits en bois devra être combinée au captage et au stockage du CO2 alors rejeté (cf. approche 4 BECCS). Sur le plan du stockage du CO2, la forêt suisse présente plusieurs avantages : les coûts sont bas et nous bénéficions d’une grande expertise en matière de gestion des forêts et d’utilisation du bois. Toutefois, fixer ainsi des quantités importantes de CO2 sur le long terme suppose que la demande en bois suisse soit élevée.

Approche nº 2 - Utilisation réfléchie des sols, charbon végétal

Le sol peut absorber et rejeter du carbone. Sous la forme d’humus, le carbone améliore la qualité du sol et augmente sa fertilité. Ainsi, depuis longtemps déjà, l’agriculture recourt à des pratiques consistant à apporter du carbone dans le sol, comme l’épandage de lisier ou l’abandon des résidus de récolte au sol. Une meilleure rotation des cultures et une exploitation minimale du sol favorisent par ailleurs l’absorption du carbone. Une telle utilisation adaptée des sols dans l’agriculture permet de stocker le carbone sans risque et de manière abordable. Les estimations optimistes prévoient pour la Suisse un maximum théorique de 2,7 millions de tonnes d’éq.-CO2 par an – mais pendant quelques décennies seulement et dans le cadre d’une gestion prudente, jusqu’à ce que le sol soit saturé en carbone.

Le recours au charbon végétal fait partie des autres options possibles. Par forte chaleur, la biomasse végétale « carbonisée » est particulièrement stable. Si la quasi-totalité de la biomasse sèche disponible en Suisse était apportée dans les sols en tant que charbon végétal, ou était conservée ailleurs, il serait théoriquement possible de stocker jusqu’à 2,2 millions de tonnes d’éq.- CO2 par an durant plusieurs décennies, et ce à un coût modéré. Toutefois, le recours à grande échelle au charbon végétal reste controversé. Il conviendra dans un premier temps d’en examiner les effets à long terme sur l’environnement.

Approche nº 3 - Extraction du CO2 présent dans l'air ambiant en vue de son stockage géologique

Le CO2 peut être extrait directement de l’air ambiant grâce à des collecteurs innovants, puis stocké en profondeur dans le sol. Il s’agit de la technologie DACCS. La plus grande installation DACCS au monde se trouve en Islande et a été développée par l’entreprise suisse Climeworks (cf. p. 23). Toutefois, cette technologie est pertinente à condition que les capacités de stockage géologique du CO2 extrait soient suffisantes. En outre, elle nécessite beaucoup d’énergie et reste coûteuse. Mais elle présente l’avantage de pouvoir être utilisée n’importe où : les installations de captage peuvent ainsi être construites directement sur le lieu où le CO2 sera ensuite stocké. Il s’agit de la méthode utilisée en Islande, et l’énergie durable requise pour faire fonctionner les installations est fournie par la géothermie. À ce jour, aucun effet néfaste de la technologie DACCS n’a été identifié. La Suisse pourrait, à l’avenir, acheter des émissions négatives produites à l’étranger grâce à cette technologie. 

Approche nº 4 - Bioénergie avec captage et stockage du CO2

La combustion de la biomasse génère du CO2.En captant ce CO2 directement à la sortie de la cheminée et en le stockant, on produit des émissions négatives. Cette approche est connue sous l’abréviation BECCS (bioénergie avec captage et stockage du carbone) et elle a un potentiel considérable : si la biomasse durablement exploitable était entièrement utilisée ainsi, elle offrirait une capacité de stockage théorique de 5,1 millions de tonnes de CO2 par an. Toutefois, les autresapproches NET telles que l’utilisation du bois ou l’apport de charbon végétal ne présenteraient plus de potentiel puisque la biomasse disponible serait déjà utilisée. Un tel conflit d’utilisation n’existe pas avec l’incinération des déchets organiques, qui présente toutefois l’inconvénient de consommer beaucoup d’énergie. La Suisse ne compte actuellement aucune installation BECCS, mais elle mène des travaux de recherche intensifs dans ce domaine. Le principal défi pour elle réside dans le stockage sûr dans le sous-sol, et aucun site ne semble aujourd’hui approprié. Une des options consisterait à transporter le CO2 jusqu’à des sites de stockage à l’étranger, par exemple en mer du Nord. La technologie BECCS est comparativement onéreuse.

Approche nº 5 - Altération accélérée du ciment et de la roche

L’altération est un processus au cours duquel la roche fixe le CO2. Ce phénomène est observé également lorsqu’un granulat à base de béton de démolition, enrichi spécifiquement en CO2, est utilisé à la place du gravier pour la fabrication d’un nouveau béton de construction. Ce processus, appelé recarbonatation, présente du potentiel : si tout le béton démoli faisaitl’objet d’une recarbonatation, cela permettrait théoriquement de stocker durablement jusqu’à 2,5 millions de tonnes d’éq.-CO2 par an. Par ailleurs, la liaison chimique du CO2 dans le béton de démolition est très stable, et donc durable. Cette approche ne semble présenter aucun risque notable pour l’environnement ni pour l’être humain. En Suisse, elle est expérimentée par la start-up de l’EPFZ neustark (cf. p. 22) avec l’accent mis sur des procédés permettant de stocker autant de CO2  que possible dans du béton recyclé. Une autre possibilité consisterait à répandre à la surface du sol d’autres roches finement broyées, telles que les silicates et les carbonates, pour qu’elles fixent le CO2  de l’atmosphère. Toutefois, il conviendra dans un premier temps d’évaluer l’impact de telles méthodes sur l’environnement, dans le cadre d’essais de terrain.


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Dernière modification 01.06.2022

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