Eaux souterraines : À la recherche des substances toxiques éternelles

Des analyses révèlent une forte présence de PFAS dans les eaux souterraines en Suisse. Ces substances chimiques persistantes peuvent porter atteinte à notre santé. Mauro Veronesi, spécialiste de la protection des eaux du canton du Tessin, explique comment déterminer les causes de cette pollution.

Mauro Veronesi a grandi à Lugano. Il a étudié la biologie à l’ETH Zurich, rédigé un mémoire en écotoxicologie à l’Eawag et réalisé un doctorat à l’Université de Zurich sur le cycle des nutriments dans le lac de Lugano. De 2008 à 2012, il a effectué des recherches à la Haute école spécialisée de la Suisse italienne SUPSI, où il travaille aujourd’hui encore comme enseignant. Depuis septembre 2012, il dirige l’Office de la protection des eaux et de l’approvisionnement en eau du canton du Tessin. Il vit à Bellinzone.
© Aurélien Barrelet

Elles repoussent la graisse, la saleté et l’eau ; elles résistent à la chaleur et sont donc extrêmement pratiques. Les substances per- et polyfluoroalkylées, autrement dit les PFAS, se trouvent par exemple dans les vêtements imperméables, les revêtements de poêles ou les mousses anti-incendie. On les appelle aussi les « forever chemicals », soit les produits chimiques éternels. En effet, une fois qu’ils se répandent dans l’environnement, ils sont très difficilement dégradables. Parmi les plus de 10 000 substances, certaines se sont avérées nocives pour l’être humain, notamment parce qu’elles peuvent provoquer le cancer. Certains PFAS sont désormais interdits en Suisse.

Environ la moitié des stations de mesure dans les eaux souterraines suisses révèlent la présence de PFAS, d’après l’étude pilote de l’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA (voir encadré). Actuellement, les services spécialisés cantonaux évaluent les sources locales de ces « forever chemicals » afin de pouvoir prendre des mesures adéquates pour la protection des eaux souterraines et donc de l’eau potable. Mauro Veronesi, responsable de l’Office de la protection des eaux et de l’approvisionnement en eau du Canton du Tessin, explique comment faire pour remonter aux sources de la pollution.

Comment savoir d’où proviennent les PFAS dans les eaux souterraines ?

Mauro Veronesi : En examinant en détail le bassin d’alimentation d’une station de mesure. En 2020, à Chiasso, nous avons par exemple trouvé dans l’eau souterraine d’un puits utilisé pour capter de l’eau potable l’acide perfluorooctanesulfonique (PFOS), une substance qui fait partie des PFAS et dont l’utilisation a été strictement réglementée dès 2011. Le problème est que le PFOS peut provenir de différentes sources, comme des mousses anti-incendie, des entreprises industrielles, des décharges, des sites contaminés ou des eaux usées. 

C’est-à-dire qu’il y a plusieurs sources possibles pour une seule et même substance ?

Absolument. Nous nous sommes donc adressés en premier aux pompiers et nous leur avons demandé où ils avaient réalisé des exercices avec de la mousse anti-incendie dans le passé. Car l’utilisation de PFOS pour la mousse anti-incendie a été autorisée jusqu’en 2014. Ensuite, nous nous sommes renseignés sur la production des industries à proximité. À Chiasso, il y a une entreprise active dans le domaine de la galvanisation, mais par le passé, on y trouvait de nombreuses entreprises de l’industrie textile qui pourraient avoir utilisé également des PFAS. Aujourd’hui, bon nombre d’entre elles sont fermées. Nous avons dû effectuer des recherches historiques afin de pouvoir déterminer qui avait travaillé quand et où avec des PFAS.

Quelle est la conclusion à laquelle vous êtes parvenu ?

Nous ne pouvons pas encore affirmer avec une certitude absolue si la source de la pollution est liée à la mousse anti-incendie ou à un site industriel. Mais il est très probable que les entraînements des pompiers soient à l’origine de cette pollution, car il y a près de ce captage d’eau potable plusieurs lieux destinés à ces exercices. Ensuite, la mousse anti-incendie s’est certainement infiltrée dans les eaux souterraines.

Quelles sont les mesures à prendre pour protéger les eaux souterraines et l’eau potable ?

En premier lieu, il convient de réduire au minimum l’infiltration de PFAS dans les eaux souterraines. Cela signifie que les lieux pollués par les PFAS doivent être identifiés et assainis dans la mesure du possible. Dans l’eau potable, il faut en plus respecter la valeur maximale actuelle qui est de 0,3 microgramme de PFOS par litre, définie dans l’ordonnance sur l’eau potable. Même si cette valeur a été tout juste respectée, le service local d’approvisionnement en eau a préventivement installé un filtre à charbon actif pour extraire le PFOS. Désormais, les concentrations dans l’eau potable traitée sont donc nettement plus basses. L’installation de traitement a coûté 1,7 million de francs.

Tous les PFAS peuvent-ils être filtrés ?

Certaines de ces substances, tels le PFOS, peuvent être extraites de l’eau avec du charbon actif. Pour d’autres, c’est difficile, voire presque impossible. Plus les PFAS sont petits et mobiles, plus le traitement des eaux est difficile.

Existe-t-il d’autres sources de PFAS susceptibles de polluer les eaux souterraines de manière importante ?

Après la construction du tunnel du Ceneri, une vaste surface des eaux souterraines a été polluée par de l’acide perfluorobutanoïque (PFBA), une substance qui fait également partie des PFAS, à proximité de la décharge pour matériaux d’excavation. Après de longues recherches, nous avons découvert que cette substance se trouve dans le béton projeté utilisé pour la construction du tunnel. Afin d’arrêter son infiltration dans les eaux souterraines, les CFF ont pris des mesures d’urgence pour protéger les eaux souterraines et l’eau potable et ont déversé le lixiviat de décharge dans la canalisation d’égout. Ensuite, nous avons informé l’Office fédéral des routes et les grandes entreprises de construction de la région. Nous les avons invitées à renoncer au béton contenant des PFAS à l’avenir. En tant que canton, nous sommes un mandant important et donc en position de sensibiliser les entreprises privées.

Le problème des PFAS est donc résolu ?

Je ne peux pas encore l’affirmer. Actuellement, nous connaissons relativement bien les trente PFAS les plus fréquents. Parallèlement, les connaissances sur la nocivité de ces substances pour l’homme et la nature s’enrichissent. Et plus nous en apprenons, plus la nécessité d’agir peut prendre de l’ampleur. Aujourd’hui, nous sommes seulement au début des recherches et encore loin d’avoir fait le tour de cette problématique.

Protéger les eaux souterraines

L’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA donne un aperçu de l’état et de l’évolution des eaux souterraines en Suisse. Dans le cadre de NAQUA, l’OFEV a initié, en 2021, une étude pilote sur les substances per- et polyfluoro­alkylées (PFAS). Il s’agit d’un projet commun entre la Confédération et les cantons, qui est axé spécifiquement sur les polluants qui se trouvent dans les eaux souterraines. Parmi plus de 500 stations de mesure, presque la moitié d’entre elles indiquaient la présence de PFAS. Une valeur comparable à celle des pays voisins, constate Miriam Reinhardt de l’OFEV, responsable de l’observation NAQUA des PFAS. « La large dissémination de ces produits chimiques dans les différentes régions de Suisse montre qu’il est nécessaire d’agir pour protéger les eaux souterraines contre ces substances en réduisant leur infiltration dans ces eaux souterraines. »

Les services spécialisés cantonaux sont chargés d’identifier les sources de PFAS et de prendre les mesures nécessaires. Leurs expériences montrent que les causes de pollution les plus fréquentes sont l’utilisation de mousses anti-incendie ainsi que les décharges et certaines entreprises de galvanisation. « Dans les zones industrielles ou urbaines qui présentent une pluralité de sources potentielles, il n’est pas toujours facile d’identifier les pollueurs », dit Miriam Reinhardt. Les recherches effectuées par les services spécialisés cantonaux représentent donc un grand défi.

Dans l’industrie, le commerce et les ménages, on utilise plusieurs milliers de PFAS ainsi qu’un grand nombre de produits contenant ces substances. Pour la plupart, on ne sait pas quel produit contient quel PFAS et dans quelle entreprise ils sont utilisés. Dans le cadre de l’étude pilote NAQUA, 26 PFAS ont été analysés dans les eaux souterraines. Pour trois d’entre eux, des valeurs maximales ont été fixés dans l’eau potable. Dans le cadre d’une intervention parlementaire, la Confédération examine actuellement s’il est nécessaire de mettre en place un plan d’action national relatif aux PFAS.

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Dernière modification 25.09.2024

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