28.08.2017 - L’être humain est dépendant du phosphore. En effet, cette matière première est indispensable au fonctionnement des organismes biologiques, des cellules, des plantes et des animaux. Le phosphore est par ailleurs l’un des principaux composants des engrais. La Suisse pourrait couvrir ses besoins en phosphore grâce à des engrais de recyclage issus des boues d’épuration et des farines animales ; elle jouerait ainsi un rôle précurseur en Europe.
Le côté obscur des importations de phosphore
Dans la nature, ce que l’on appelle le phosphate, mieux connu sous le nom de phosphore, existe exclusivement sous forme liée dans les minéraux phosphatés. Ces derniers sont présents dans la croûte terrestre. Avec l’azote et le potassium, le phosphore constitue l’un des principaux nutriments des plantes. Une carence en phosphore provoque chez ces dernières un arrêt de la croissance et se traduit par de mauvais rendements. Chez l’être humain et l’animal, le phosphore est nécessaire à la formation des os et des dents.
Étant donné que les récoltes agricoles privent le sol d’apports en phosphore, l’agriculture doit compléter les engrais organiques (fumier, lisier) par des engrais minéraux phosphatés. Le phosphore est primordial pour la production de produits agricoles ; il joue, partant, un grand rôle dans l’alimentation de la population mondiale, en constante augmentation. Il existe peu de gisements de phosphate facilement accessibles dans le monde. Les plus grandes réserves se situent dans des régions sensibles sur le plan géopolitique.
Dans l’état actuel des connaissances, on dispose à moyen terme de suffisamment de gisements naturels de phosphate. La Suisse dépend des importations de phosphore pour couvrir les besoins en engrais de l’agriculture. Chaque année, elle importe plus de 6000 tonnes de produits fertilisants déjà transformés. Or, les engrais phosphatés importés ne sont pas toujours conformes aux valeurs limites légales. Selon leur provenance, ils sont contaminés à des degrés divers par des métaux lourds tels que l’uranium et, surtout, le cadmium.
Un contrôle du marché réalisé en 2015 par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a montré que près de la moitié des engrais analysés dépassaient les valeurs limites en matière de polluants. Les métaux lourds s’accumulent dans les sols, entraînant des conséquences néfastes pour la santé et l’environnement. De plus, dans certaines régions, l’extraction du phosphate viole les normes écologiques et sociales.
Du phosphore issu des eaux usées et des déchets
La Suisse pourrait couvrir elle-même ses besoins en phosphore en bouclant le cycle des matières. L’impulsion a été donnée par la nouvelle ordonnance sur les déchets (OLED), entrée en vigueur en 2016. Selon cette dernière, le phosphore contenu dans les eaux usées, les boues d’épuration et les cendres devra dès 2026 être récupéré et faire l’objet d’une valorisation matière. Les nutriments ainsi obtenus pourront servir à produire des engrais de recyclage.
Cette solution présente trois avantages : premièrement, elle ménage les réserves primaires de phosphate ; deuxièmement, elle évite l’introduction en Suisse de métaux lourds nocifs comme l’uranium et le cadmium par les importations d’engrais ; troisièmement, elle prémunit les agriculteurs suisses contre les évolutions imprévisibles des prix du phosphate. D’un point de vue tant écologique qu’économique, il vaut donc la peine de recycler le phosphore. Cela représente un grand pas vers une gestion durable des matières premières et envoie un signal fort à l’Europe.
Innovations : trouver des technologies adéquates
Pour récupérer le phosphore contenu dans les eaux usées, les boues d’épuration ou les cendres, il existe à travers le monde différentes approches techniques situées à différents stades de développement, allant de l’idée à la production à l’échelle industrielle. Il existe ainsi des procédés de précipitation et de cristallisation, d’échanges d’ions, de digestion acide, de digestion hydrothermale et de digestion thermochimique. Les mêmes critères valent pour tous les procédés.
Les exigences de qualité supposent que les polluants soient retirés du cycle du phosphore. La récupération du phosphore doit en outre être efficiente et il faut pouvoir utiliser les infrastructures d’élimination existantes. Enfin, les coûts sont un autre élément déterminant du succès d’un procédé. L’OFEV a réalisé une étude (PDF, 577 kB, 03.11.2022) (disponibile uniquement en allemand) détaillée afin d’évaluer les différents procédés prêts à être mis sur le marché.
Exigences en matière d’engrais de recyclage
Le Conseil fédéral doit adapter l’ordonnance sur les engrais et l’ordonnance sur la réduction des risques liés aux produits chimiques pour permettre à l’agriculture d’utiliser comme engrais minéraux les matières premières secondaires issues des stations d’épuration et des usines d’incinération. L’OFAG a chargé Agroscope de calculer des valeurs limites pour certains métaux lourds et pour les composés organiques nuisibles. Ces substances sont nocives pour l’environnement et ne doivent pas être épandues sur les champs, où elles pourraient mettre en danger les organismes vivant dans le sol. Ces valeurs limites seront présentées et discutées lors de la manifestation sur le thème du phosphore organisée conjointement par l’Office fédéral de l’environnement et l’OFAG le 30 août 2017.
Une autre exigence en matière d’engrais de recyclage est ce que l’on appelle la « disponibilité pour les plantes ». En principe, le phosphate n’est directement disponible pour les plantes que sous forme dissoute. C’est pourquoi les engrais de recyclage doivent être apportés sous forme minérale soluble, à défaut de quoi le cycle du phosphore sera certes bouclé, mais restera sans effet pour les plantes.
Le recyclage du phosphore : que reste-t-il à faire ?
En Suisse, un marché des engrais de recyclage doit encore se mettre en place. Pour y arriver, il faut que différentes conditions soient réunies, comme la disponibilité des engrais de recyclage minéraux, le prix et la demande. L’agriculture doit pouvoir recourir aux engrais de recyclage dans tous les secteurs de production, qu’elle soit intensive, extensive ou biologique. Dans un premier temps, l’OFEV et l’OFAG vont examiner et implémenter des instruments adéquats visant à renforcer la compétitivité des engrais de recyclage minéraux.
En collaboration avec des experts, l’OFEV rédigera le module « Déchets riches en phosphore » de l’aide à l’exécution de l’OLED. Par manque de données, une étude économique détaillée du recyclage du phosphore fait encore défaut en Suisse. Une telle étude permettra de répondre aux questions relatives aux coûts totaux que le recyclage du phosphore représente pour la société et à son utilité pour l’environnement. Pour instituer le recyclage du phosphore et permettre aux engrais de recyclage de s’imposer sur le marché, il est nécessaire d’impliquer l’ensemble des acteurs et d’encourager ceux-ci à échanger régulièrement leurs connaissances et expériences.
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Dernière modification 28.08.2017