Approche comportementale: «Un coup de pouce S.V.P. !»

Nous savons souvent ce que nous devrions faire ou ne pas faire pour vivre de manière plus durable. Nos actions ne sont toutefois pas toujours en adéquation avec ce savoir. Un fossé que l’économie comportementale peut contribuer à combler.

Texte: Lucienne Rey

© Pixabay

Des principes économiques éprouvés ont parfois été utilisés dans des systèmes économiques aujourd’hui disparus. Ainsi, la République démocratique allemande avait-elle introduit la notion de Bückware, que le dictionnaire de la RDA définit comme un terme familier et satirique qui désignait, dans les magasins, des marchandises que l’on ne pouvait atteindre qu’en se baissant. Ce terme faisait en réalité référence à des produits rares ou idéologiquement problématiques.

Placer un article de telle façon qu’il n’attire pas l’attention visait à limiter, voire à supprimer la demande. L’économie planifiée allemande suivait là un principe de l’économie comportementale, mais de manière inversée. En effet, aujourd’hui, il s’agit plutôt de populariser des produits et des comportements sains et respectueux de l’environnement, autrement dit, durables.

En pilotage automatique

Les modèles de l’économie classique reposent sur le concept de l’homo oeconomicus, qui réagit aux prix et ne se laisse pas entraîner dans des achats émotionnels spontanés. Il connaît aussi parfaitement les avantages et les inconvénients du produit ainsi que ses alternatives.

Mais l’homo oeconomicus ne constitue qu’un reflet partiel de la réalité. En 2017, ce constat a même valu le prix Nobel d’économie à Richard H. Thaler pour ses travaux sur l’économie comportementale. Ce professeur de l’Université de Chicago a démontré que, dans la vie de tous les jours surtout, nous agissons souvent de manière rapide, instinctive et peu réfléchie plutôt que rationnelle. Hanna Scheuthle, de la section Observation de l’environnement à l’OFEV, est consciente des conséquences de ce « pilotage automatique » : « Notre paresse prend souvent le dessus ; nous tendons à nous accrocher à nos habitudes et à accorder plus d’importance aux effets à court terme qu’aux conséquences à long terme. » De plus, nous cédons facilement à la pression du groupe, même si elle est guidée par des jugements erronés.

Les nudges à la rescousse

Le professeur Richard Thaler considère que ces automatismes peuvent être utilisés au profit de tous, par exemple pour encourager un mode de vie plus sain, mais aussi pour protéger l’environnement. Les professionnels parlent de nudges, en français « coups de pouce », pour désigner une situation conçue de manière à orienter nos actions spontanées dans une direction souhaitée, qui nous soit également favorable.

Notre propension à la paresse est ainsi utilisée par les architectes du choix, ainsi que Richard Thaler nomme les personnes qui organisent le contexte dans lequel nous prenons nos décisions. Par exemple, les services industriels offrent à leur clientèle différents modèles tarifaires. En Suisse, certains proposent par défaut un mix « vert », qui comprend une plus grande proportion d’électricité verte, mais dont le prix est un peu plus élevé. Les clients qui souhaiteraient acheter du courant meilleur marché (et moins écologique) peuvent le faire, mais ils doivent modifier l’option proposée par défaut. La clientèle est ainsi incitée à choisir l’option écologique. Il ne faut pas sous-estimer l’effet de cette pratique car 70 à 85 % des ménages ne modifient pas l’offre par défaut.

Des incitations subtiles

Les efforts visant à orienter en douceur le com­portement de la population, sans recourir à des réglementations classiques, sont parfois qualifiés d’opaques, de manipulateurs et de paternalistes.

Des critiques que réfute Hannah Scheuthle. « En règle générale, ces nudges sont très bien acceptés dans la mesure où l’objectif a une légitimité démocratique et humanitaire et où la démarche est communiquée en toute transparence », affirme-t-elle. « En outre, chacun reste libre de ses choix. En revanche, les personnes qui souffrent des problèmes environnementaux que nous occasionnons n’ont, elles, pas le choix. »

L’un des principes fondamentaux du nudge est de ne recourir ni à des interdictions, ni à des incitations financières. Ainsi, plutôt que d’augmenter le prix d’un menu à base de viande ou de le supprimer, une cantine placera les fruits et légumes dans un endroit stratégique et les présentera de manière particulièrement appétissante.

Une somme de petits gestes

Hannah Scheuthle cite ainsi de nombreux exemples de nudges environnementaux : lorsqu’un hôtel indique que 90 % de ses clients utilisent leurs linges de bain plusieurs fois, les nouveaux arrivants seront incités à rallier la majorité. Les compteurs intelligents, qui mesurent la consommation d’électricité et d’eau et affichent les valeurs moyennes du quartier, peuvent susciter l’envie de consommer moins que la moyenne… d’autant plus s’ils s’accompagnent d’un élément ludique, comme un smiley, en récompense de l’effort consenti.

Il est clair qu’à eux seuls, les nudges ne résoudront pas les problèmes de l’environnement. « Moins une chose compte à nos yeux, et plus nous sommes réceptifs aux nudges », observe Hannah Scheuthle. Utiliser une poubelle idéalement placée plutôt que de laisser tomber par terre son gobelet jetable ne demande ni effort ni sacrifice. En revanche, une personne qui attend avec impatience ses vacances outre-Atlantique renoncera très difficilement à son vol. Selon la spécialiste, un autre point faible du nudge tient au fait qu’il produit des changements de comportement à court terme. En l’absence d’indication, de panneau d’information ou d’animation, l’effet incitatif disparaît immédiatement. Pour obtenir un effet à long terme, la sensibilisation reste donc incontournable.

Agir ensemble

C’est justement sur la sensibilisation que mise « Step into action », un projet destiné aux jeunes. Il est l’œuvre d’Euforia, une organisation non gouvernementale basée à Genève et à Berne, qui souhaite, selon ses propres mots, soutenir des personnes engagées afin « de parvenir à un monde meilleur ».

Les élèves âgés de 15 à 19 ans qui participent à cette initiative discutent dans un premier temps avec des bénévoles au sujet d’un certain nombre de problèmes globaux qui les préoccupent. Dans le parcours didactique qui suit, ils prennent conscience des liens entre leur quotidien et les enjeux planétaires, et découvrent comment ils peuvent contribuer à la solution. Ils sont soutenus par d’autres ONG, dont certaines offrent des pistes d’action, comme Agriviva, qui propose des stages à la ferme. Certains jeunes s’associent même pour lancer leurs propres projets. « My green trip », par exemple, a été fondé lors d’un événement organisé à Genève en 2016. Il s’agit d’une communauté de voyageurs passionnés, adeptes de destinations « nature », où ils vont débarrasser les déchets laissés par leurs prédécesseurs.

Selon les évaluations de « Step into Action » effectuées à Genève en 2016, 97 % des élèves prennent conscience, à l’issue du parcours, que leurs activités quotidiennes ont un impact direct, positif ou négatif, sur des problématiques liées au développement durable, et 90 % ont envie de changer ou de s’engager davantage. L’exemple montre qu’au-delà du sentiment valorisant de s’impliquer au sein d’une communauté, la pression sociale qui agit sur notre « pilotage automatique » favorise également la sensibilisation : « Le comportement du groupe influence nos propres actes », confirme Hannah Scheuthle. « Nous nous sentons floués si nous sommes les seuls à nous restreindre et si nous devons supporter les conséquences des dégâts environnementaux occasionnés par les autres. » Mais le groupe fonctionne aussi dans l’autre sens : les jeunes qui s’engagent se sentent renforcés dans leur action et restent plus longtemps impliqués dans leur projet. « En fait, la problématique environnementale est telle que nous devons recourir à la fois au nudge et à la sensibilisation pour encourager les comportements durables », conclut l’experte de l’OFEV.

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Dernière modification 04.03.2020

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