Le bruit est omniprésent en milieu urbain. Bien planifiés et aménagés, les espaces verts non construits peuvent améliorer le bien-être de la population en atténuant les nuisances sonores.
Texte : Isabel Plana
Mardi matin sur la Bürkliplatz de Zurich. Trond Maag, urbaniste et collaborateur scientifique de la division Bruit et rayonnement non ionisant (RNI) de l’OFEV, se promène à travers les grands arbres séculaires dont les cimes forment un épais feuillage au-dessus de la place. En dépit de la végétation, l’environnement est assez sonore : de la route qui longe le lac s’échappe un bruit de circulation constant, entrecoupé d’un canon de moteurs vrombissants. « S’il y a autant de bruit au milieu de la place malgré les arbres, c’est à cause de l’asphalte, explique Trond Maag, les surfaces imperméabilisées et planes propagent le son, tandis que les sols perméables l’absorbent. La neige fraîche en est un bon exemple. »
Le trafic constitue la principale source de bruit en Suisse. Selon le monitoring de la Confédération, le bruit de la circulation routière est jugé incommodant ou nuisible par environ 1,1 million de personnes en journée, et presque autant la nuit. À cela s’ajoutent les émissions sonores des chantiers, de l’industrie et de l’artisanat. Ces nuisances touchent majoritairement la population des villes et des agglomérations. Le développement vers l’intérieur accentue en outre le problème. Afin d’exploiter pleinement les surfaces des terrains, les logements et bâtiments se multiplient désormais sur des sites exposés au bruit et à proximité des routes. La croissance de la population résidante entraîne par ailleurs une augmentation du volume du trafic.
Conséquence : un besoin accru de calme et de repos que les forêts, les prairies et les champs qui bordent l’espace urbain ne peuvent entièrement satisfaire. « Il faut davantage d’espaces verts intra-urbains, facilement accessibles à pied depuis le domicile ou le lieu de travail », souligne Trond Maag. Il peut s’agir de parcs, de cimetières, de promenades et de terrasses au bord de l’eau, mais aussi de petits lieux de refuge tels que des cours intérieures végétalisées ou des pelouses et des places au sein des zones habitées. Les responsables politiques en ont également pris acte. La révision de la loi sur la protection de l’environnement doit permettre de mieux coordonner la protection contre le bruit et le développement de l’urbanisation. Lors de la planification d’une augmentation de l’espace habitable dans des zones déjà bâties, il faudra désormais créer des espaces ouverts servant à la détente et prévoir d’autres mesures pour préserver la tranquillité.
Écouter avec les yeux
Mais qu’est-ce que le calme ? Et que faut-il pour créer des lieux réellement propices à la détente dans les zones urbaines ? Nicole Bauer, psychologue de l’environnement à l’Institut WSL, travaille sur ces questions. Un clapotis sonore l’accompagne tandis qu’elle se promène le long de la Reppisch, la petite rivière qui traverse la ville de Dietikon, telle un ruban vert et bleu, avant de se jeter dans la Limmat. Près des bancs situés sur la berge, le niveau sonore de l’eau avoisine les 57 dB, soit à peu près autant que les voitures qui passent. On ne qualifierait toutefois pas le clapotis de la rivière de bruit indésirable. Au contraire, il est agréable, car il couvre les bruits du trafic alentour. « La seule indication des décibels ne permet pas d’évaluer dans quelle mesure un lieu est perçu comme calme et reposant », souligne Nicole Bauer. « Le calme est bien plus que l’absence de bruit. »
Dans le cadre d’une étude financée par l’OFEV, Nicole Bauer et deux collègues ont analysé, dans dix lieux de détente du Plateau suisse – dont les rives de la Reppisch à Dietikon –, quels bruits étaient perçus comme agréables et lesquels étaient considérés comme gênants. Les sons de la nature tels que le chant des oiseaux, le coassement des grenouilles, le bourdonnement des abeilles, le chant des grillons, le murmure d’un ruisseau et le souffle du vent ont été très appréciés par les personnes interrogées, tandis que le bruit des avions, du trafic routier ou des chantiers ont troublé leur quiétude.
Nicole Bauer précise qu’outre le volume sonore, notre perception et notre évaluation des bruits entrent également en jeu. Les sons qui ne correspondent pas à l’environnement dans lequel nous sommes nous frappent davantage. « Quand je me promène en forêt, le bruit de mes pas sur le chemin de terre est assez fort, voire plus fort que celui d’un avion qui vole au loin. Mais je n’y prête pas attention, parce que ce bruit vient de moi et qu’il est naturel lors d’une balade en forêt, contrairement à celui de l’avion. »
De plus, notre perception de l’intensité sonore est relative. Dans un endroit calme, nous entendons mieux les bruits parasites. Inversement, un lieu nous semblera tranquille s’il est moins bruyant que son environnement. « Des aspects visuels peuvent en outre influencer notre perception d’un lieu », complète Nicole Bauer. Une zone piétonne très fréquentée génère souvent une sensation de stress, même si le niveau sonore y est peu élevé. En revanche, il est prouvé qu’un environnement naturel et la vue de plantes ont un effet apaisant. Il est toutefois difficile de quantifier dans quelle mesure le calme visuel peut compenser le bruit.
À l’écoute dans la vallée de la Limmat
Un projet portant sur la qualité sonore est en cours dans la vallée de la Limmat, entre Zurich et Baden. Dans cette zone urbaine dense, traversée par l’un des axes autoroutiers et ferroviaires les plus fréquentés du pays, le bruit du trafic est constant, même à proximité de la rivière et sur les versants de la vallée. On y trouve pourtant des endroits paisibles, notamment le long de la Reppisch, à Dietikon. Le projet « Ruheorte. Hörorte », soutenu par la Confédération, sensibilise à la qualité acoustique de l’environnement. Entre autres initiatives, des promenades sonores dans plusieurs communes de la vallée invitent à une exploration auditive du paysage et rappellent l’importance de l’aménagement acoustique des espaces extérieurs.
L’acoustique dans la ville de Zurich
Selon Trond Maag, de l’OFEV, il n’est pas judicieux de trop miser sur les aspects visuels lors de la conception d’espaces ouverts. « Le vert est toujours préférable au gris. Mais les arbres ne suffisent pas à rendre un endroit moins bruyant. » De nombreux facteurs doivent être considérés pour créer dans l’espace urbain des lieux apaisants, à la fois visuellement et acoustiquement. La distance par rapport à la route, l’orientation et la forme des façades des bâtiments environnants, la topographie, la nature du sol, l’eau et la végétation sont autant d’aspects qui ont un impact sur la sonorité d’un lieu.
Trond Maag en fait la démonstration lors d’une promenade dans le centre-ville de Zurich. Depuis la Bürkliplatz, nous longeons le lac en direction de l’Arboretum, un parc verdoyant bordé d’arbres séculaires. Bien que la route à plusieurs voies contourne directement le parc, le sol désimperméabilisé et l’écran formé par les haies et les arbres rendent l’endroit nettement moins bruyant que le quai du lac, ouvert et en grande partie asphalté. L’itinéraire se poursuit jusqu’à l’ancien jardin botanique situé sur une colline, un bastion des anciennes fortifications de la ville. Une fois en haut, le bruit du trafic n’est plus que diffus. « Sur un site surélevé comme celui-ci, on s’éloigne automatiquement de la route. De plus, les bâtiments alentour font un peu écran au bruit de la circulation », explique Trond Maag. L’impact de la différence de hauteur est encore plus net dans le Schanzengraben. Longeant le canal qui relie le lac et la Sihl, la promenade idyllique traverse le centre-ville en contrebas des rues. En dépit de la proximité de la gare centrale, le trafic est quasiment imperceptible. On ne voit et on n’entend rien du tumulte de la ville.
Les espaces verts ne sont pas des « bouche-trous »
Comme le montre ce parcours à travers Zurich, les espaces verts offrent calme et détente même dans des endroits centraux, pour autant que les conditions soient favorables. Mais l’aménagement de ces espaces est parfois complexe. Selon l’acoustique d’un lieu, il convient en effet d’associer des mesures qui réduisent efficacement le niveau de bruit, comme la désimperméabilisation du sol, et des mesures qui modifient la perception du bruit, comme l’eau. L’étude de Nicole Bauer montre en effet que le clapotis d’une rivière ou le ruissellement d’une fontaine peuvent être perçus comme agréables, en plus de masquer le bruit du trafic.
Selon Trond Maag, les espaces non construits ne doivent toutefois pas être considérés comme des bouche-trous. « Dans un projet de construction, les espaces ouverts sont souvent intégrés à la fin, là où il reste de la place. Ce sont parfois des zones qui ne se prêtent pas à la détente et que les gens finissent même par éviter. Nous devons inclure l’espace non construit dans notre réflexion initiale et lui accorder autant d’importance qu’aux bâtiments. »
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Dernière modification 12.06.2024