Les villes suisses prennent des mesures concrètes pour limiter la pollution lumineuse. Balade nocturne à travers Berne en compagnie de deux spécialistes du sujet, Danielle Hofmann et Alexander Reichenbach, qui travaillent à l’OFEV.
Propos : Lucienne Rey
Nous nous trouvons sur l’Helvetiaplatz, à Berne. C’est une grande place, des voitures sont garées tout autour. Un monument sombre et imposant est érigé en son centre. Il est 21 h et il y fait sombre. L’éclairage discret est-il suffisant pour assurer la sécurité publique ?
Alexander Reichenbach (AR): Oui, car un éclairage plus puissant n’est pas forcément garant d’une meilleure sécurité. Lorsque nous avons élaboré le document d’aide à l’exécution « Recommandations pour la prévention des émissions lumineuses », des experts en prévention de la criminalité en milieu urbain nous ont indiqué que la lumière pouvait aussi bien restreindre que favoriser la criminalité. Par exemple, un parking très éclairé permet plus facilement à un cambrioleur d’identifier ce qui se trouve à l’intérieur des voitures et de voir celles qui valent la peine d’être volées. En revanche, si l’éclairage est faible, il faut une lampe de poche pour regarder à l’intérieur des véhicules, et cela se remarque. L’éclairage doit impérativement être associé à une présence humaine pour accroître la sécurité : si personne n’est là pour remarquer qu’il se passe quelque chose, l’éclairage ne sert à rien.
Danielle Hofmann (DH): Sur la Helvetiaplatz, la situation semble optimale ; les grands axes sont dégagés et l’on voit de loin lorsque quelqu’un s’approche. De plus, il n’y a pas de fort contraste entre ombre et lumière, ce qui garantit une bonne visibilité.
Le bâtiment dominant, au milieu de la place, est le Musée d’Histoire de Berne, entouré de son parc. Que pensez-vous de son éclairage ?
(DH): On remarque que les arbres se trouvent presque entièrement dans l’obscurité, ce qui est positif. Seule la façade est éclairée.
(AR): Avant, les bâtiments étaient éclairés de bas en haut à l’aide de puissants projecteurs, qui diffusaient les émissions lumineuses vers le ciel. Cette méthode génère des dômes lumineux indésirables la nuit, qui perturbent en particulier les oiseaux. A contrario, le Musée d’Histoire de Berne est mis en scène de façon moderne : l’éclairage provient de la pointe de deux poteaux, et des masques sont utilisés pour guider précisément la lumière sur l’objet. Cette méthode permet de laisser certaines zones de la façade dans l’ombre, comme celles où les oiseaux sont susceptibles de nicher ou les cachettes utilisées par les chauves-souris pour repartir après avoir dormi en journée.
Nous nous promenons maintenant sur le pont de Kirchenfeld dont les éclairages, d’élégants candélabres tout en hauteur, diffusent une lumière intense. Un éclairage plus faible ou bleuté comme dans les toilettes publiques ne serait-il pas moins énergivore et plus écologique ?
(DH): Pour les insectes, la lumière bleue ne serait pas du tout favorable, car elle les attire particulièrement. On remarque aussi que sur la tête de pont, les candélabres illuminent la cime des arbres. Ce n’est pas idéal, car cela peut déranger les insectes ou les oiseaux qui y vivent. En outre, en raison de l’éclairage, les arbres perdent leurs feuilles plus tard. L’éclairage de la rue qui se trouve sous le pont et conduit à l’Aar est exemplaire : les lumières sont orientées de telle manière qu’elles n’éclairent pas les arbres alentour.
(AR): Pour pouvoir réaliser des économies d’énergie grâce à la couleur de la lumière, il faudrait éventuellement envisager le vert. En effet, au crépuscule, l’œil humain réagit de manière particulièrement sensible à la lumière bleu-vert, ainsi une faible intensité lumineuse suffit, ce qui consomme moins d’énergie. Du reste, le côté esthétique joue toujours un rôle important en matière d’éclairage. Sur le pont Kirchenfeld, ouvrage chargé d’histoire, il est important de respecter la tradition. Par conséquent, les candélabres ont été équipés de LED blanc chaud tamisées la nuit, dont la lumière est agréable à l’œil humain.
Lorsque nous regardons par-dessus le parapet du pont, en contrebas, nous voyons l’Aar et sa rive. Que pensez-vous de son éclairage ?
(DH): Sur la rive droite du fleuve, au sud, se trouvent des éclairages historiques qui génèrent des reflets de lumière. Pour certaines espèces de poissons, cette situation n’est pas favorable, car ils essaient d’éviter les fluctuations entre ombre et lumière. En revanche, le point positif, est que sur la rive opposée de l’Aar, les grands jardins de la terrasse du Palais fédéral sont dans l’obscurité totale. Ils doivent abriter un grand nombre d’animaux et de plantes. Il est cependant regrettable que l’éclairage des ponts et des rues attire les insectes hors des jardins. Ils ne jouent plus leur rôle de pollinisateurs nocturnes.
(AR): La ville de Berne a élaboré un Plan Lumière qui interdit l’éclairage de l’Aar. Cependant, sa mise en œuvre n’est pas toujours simple, car il existe aussi des normes sur l’éclairage des rues qui s’appliquent aux rues longeant la rive. Plus haut, au niveau du Palais fédéral, l’éclairage est réussi. L’obscurité environnante fait davantage ressortir le bâtiment. Lorsque l’éclairage est limité au strict nécessaire, son impact est plus puissant que lorsque les bâtiments sont suréclairés.
Nous arrivons au niveau de la place du Casino où circulent trams et voitures. On aperçoit également plusieurs vitrines…
(AR): Ici, il est essentiel de prendre en compte la luminosité des environs. Le plan en sept points de la nouvelle aide à l’exécution est précieux à cet égard. Dans une sorte de check-list, elle énonce les principes directeurs à prendre en compte pour tout type d’éclairage. Un de ces principes consiste à répondre aux différents « besoins avec la quantité de lumière globale la plus petite possible ».
(DH): La lumière de l’entrée du parking du métro est relativement agressive, cela saute aux yeux. En revanche, en comparaison, l’éclairage de la Tour de l’Horloge est plutôt discret, même si toute la façade est baignée de lumière.
Cet éclairage respecte-t-il les recommandations de l’aide à l’exécution ?
(AR): Comme pour le Musée d’Histoire, la lumière vient de devant et non pas d’en bas. Les points de lumière sont ciblés. Avant l’installation de l’éclairage, le Service municipal de la protection de l’environnement a vérifié s’il y avait des nids en haut de la tour ou des colonies de chauves-souris à protéger de la lumière. Mais ce n’était pas le cas.
(DH): Cette manière de faire est exemplaire, car il est toujours bon d’intégrer les services de protection de la nature en amont. Les spécialistes connaissent les endroits sensibles. Ils savent où les animaux sont susceptibles d’être dérangés. Ici, l’éclairage est effectivement optimal. On s’en rend également compte, car les fenêtres des bâtiments voisins n’ont pas besoin de stores pour se protéger de la lumière.
Nous sommes à l’entrée de la partie basse de la vieille ville. Les arcades abritent des boutiques et leurs vitrines. À quoi faut-il prêter attention si l’on veut éclairer une devanture du mieux possible ?
(AR): Les arcades retiennent la lumière des vitrines, de sorte qu’elle se diffuse à peine dans la rue. C’est parfait. Le Plan Lumière de la ville de Berne émet des directives sur l’intensité de l’éclairage des vitrines des magasins et prescrit, dans la procédure d’autorisation, des restrictions de temps pour les publicités lumineuses. Dans la vieille ville, ces dernières doivent être éteintes à 23 h, tandis que celles se trouvant dans les vitrines peuvent uniquement rester allumées avec une intensité lumineuse réduite. L’impact publicitaire reste cependant très bon, comme l’a confirmé un projet pilote.
(DH): Les vitrines et caissons lumineux encastrés dans les piliers des arcades sont plus problématiques que les devantures des magasins. Leur lumière se répand jusque dans la rue, surtout quand elle est particulièrement intense.
Des éclairages équipés de détecteurs de mouvements pourraient-ils éventuellement atténuer ce problème ?
(AR): Ici, probablement pas. Un endroit très passant entraîne une fluctuation importante de l’intensité de la lumière, ce qui peut être très dérangeant pour les riverains. Les lumières déclenchées par des détecteurs de mouvements sont principalement utilisées dans des rues peu fréquentées.
Il semblerait qu’avec son Plan Lumière, la ville de Berne ait fait des choix judicieux et anticipé l’aide à l’exécution actuelle de l’OFEV. En a-t-elle d’ailleurs besoin ?
(AR): Oui, elle en a besoin. L’aide à l’exécution se trouvait déjà en phase de consultation en 2017. La ville de Berne connaissait donc le projet de consultation et s’est notamment inspirée de nos recommandations.
(DH): En outre, de nombreuses villes ne disposent pas encore d’un Plan Lumière global et peuvent se servir de l’aide à l’exécution. D’ailleurs, ce document n’est pas seulement destiné aux villes et aux communes. Les bureaux d’études (environnementales) et les bureaux de planification ainsi que les propriétaires d’installations éclairées peuvent également le consulter.
L’aide à l’exécution actuelle remplace la version de 2005. Qu’est-ce qui a changé ?
(AR): Le plan de réduction des émissions lumineuses en sept points, orienté vers la pratique, a été considérablement développé. Il intègre également les innovations techniques de ces dernières années. La matrice d’impact, qui permet d’apprécier l’impact des émissions lumineuses par rapport à la sensibilité des alentours, est également nouvelle. L’aide à l’exécution actuelle contient enfin des valeurs indicatives qui permettent d’apprécier l’effet incommodant de la lumière sur les personnes.
Si l’on prend en compte l’effet incommodant sur les êtres humains, ne faudrait-il pas aussi établir des valeurs indicatives pour la nature ou au moins pour certains animaux ?
(DH): Ce serait difficilement réalisable, car les animaux réagissent de manière très diverse à la lumière. Certaines espèces l’évitent, d’autres sont attirées par elle. De plus, les espèces perçoivent très différemment la couleur et l’intensité de la lumière. Nous savons par exemple que dans les milieux aquatiques, de nombreux insectes quittent leur habitat parce qu’ils sont attirés ailleurs par la lumière. Les amphibiens, en revanche, sont entravés dans leur mobilité par l’éclairage, car ils ne s’habituent que difficilement aux contrastes marqués entre ombre et lumière. Il faudrait donc définir une valeur indicative pour chaque groupe d’animaux, voire pour chaque espèce.
Aujourd’hui, nous avons observé la situation en ville. À quoi faut-il prêter attention dans les zones rurales ?
(DH): La nature a impérativement besoin de zones non éclairées et de corridors sombres pour que les animaux puissent se déplacer entre plusieurs zones et habitats. Si ces corridors font défaut, cela a un impact négatif sur la biodiversité. La petite rhinolophe, par exemple, une espèce de chauves-souris menacée, est extrêmement lucifuge. Une étude a montré que cette espèce présente dans le Val de Bagnes avait disparu des Alpes valaisannes après l’installation d’un éclairage public de rue. Une espèce de chauve-souris plus répandue, la chauve-souris naine, l’a remplacée.
Conclusion
Il n’est pas nécessaire d’éclairer fortement tous les endroits d’une ville – il y a souvent moins besoin de lumière que l’on pense. L’aide à l’exécution « Recommandations pour éviter les émissions lumineuses » aide les collectivités à utiliser l’éclairage de manière à répondre aux besoins des gens sans perturber la faune.
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Dernière modification 28.09.2022